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Le Billet de Frédéric Encel

La fausse victoire du Hamas

Comme après chaque confrontation, au Proche-Orient en particulier, il convient de dresser objectivement un bilan et de tirer les conséquences de ce qui s’est produit. S’agissant de l’opération israélienne « Pilier de défense », plusieurs questions se posent, qui reviennent chez les amis d’Israël comme une litanie.

 

1/ Benjamin Netanyahou a-t-il été faible ?

Dès les premiers jours de la crise, et alors que plusieurs dizaines de roquettes s’étaient déjà abattues sur le sol israélien, le cabinet de sécurité a mobilisé plus de 75 000 combattants dotés d’un matériel blindé considérable, l’état-major les disposant en positionnement offensif à proximité immédiate de la bande de Gaza. Le fait que l’attaque terrestre n’ait pas eu lieu aura convaincu certains que le gouvernement israélien a finalement fait preuve de faiblesse. Or il faut inverser la réflexion ; les grandes diplomaties – Washington, Moscou, Londres, Paris – se seraient-elles mobilisées autant en faveur d’une trêve rapide si Jérusalem n’avait pas montré ses « muscles », à savoir une détermination et une capacité impressionnantes ? Si seulement 10 000 ou 20 000 hommes avaient été mobilisés ? Sans doute pas. En géopolitique, démonstration de force vaut force, et, en l’occurrence, la rapide montée en puissance d’une force redoutable prête à intervenir aura vraisemblablement constitué un levier de première importance, maintenant à un niveau très élevé la crédibilité organisationnelle d’Israël. Du reste, n’est-ce pas précisément face à la menace d’une intervention terrestre massive que le Hamas a accepté, dans la foulée, un cessez-le-feu ? On ne parlera donc pas de faiblesse ni de recul israélien dans cette affaire.

 

2/ La capacité de nuisance du Hamas aurait-elle pu être anéantie par une offensive terrestre ?

De deux choses l’une : soit le pouvoir israélien, exaspéré par la menace lancinante que représentent ses multiples engins balistiques, choisit de se comporter à la manière russe en Tchétchénie, et la question militaire du Hamas sera « réglée », soit il s’y refuse. Pour des raisons morales et politiques, Israël ne mènera pas ce type de politiques éradicatrices, et tous les amis de l’État juif doivent s’en féliciter. Mais cette posture a un coût ; sur le plan stratégique, cela signifie qu’Israël devra constamment juguler l’acquisition de l’armement du Hamas en amont, et riposter aux tirs de roquettes ou aux infiltrations de façon locale et ponctuelle en aval. D’où les frappes fréquentes de Tsahal sur des cibles situées au Soudan – plaque tournante de l’approvisionnement du Hamas en provenance d’Iran –, et les éliminations ciblées de cadres militaires du groupe islamiste. En l’espèce, si une offensive terrestre avait eu lieu, elle aurait sans doute permis de neutraliser de très nombreux matériels, mais en aucun cas de réduire à néant les tirs de roquettes sur Israël du fait des tunnels nombreux et opérationnels entre Gaza et l’Égypte, de l’extrême densité du bâti à Gaza ville et dans les anciens camps de réfugiés, de l’abondance de souterrains et de corridors entre les caches et bases du Hamas, de la grande facilité d’emploi des roquettes pour les servants entraînés, etc.

 

3/ Le conflit a-t-il été remporté par le Hamas ?

Il le prétend et c’est de bonne guerre. L’élément principal de cette « victoire » affichée est bien entendu le missile tombé près du rivage tel avivien. Mais le fait que le rayon d’action de certains engins du Hamas englobe Tel Aviv était connu depuis longtemps. Comme souvent, c’est l’effet d’annonce qu’il recherchait, en butte à la concurrence interne du Jihad islamique voire de groupuscules incontrôlables et plus fanatiques encore ; rappelons qu’en août 2012, un commando d’une quinzaine de djihadistes abattait froidement 16 soldats égyptiens à l’heure de la rupture du jeûne du Ramadan avant de tenter de pénétrer en Israël avec un blindé volé. Ce fait gravissime et sans précédent, ainsi que certains tirs de roquettes sur Israël de l’automne dernier, illustrait la perte de contrôle du Hamas sur certains milieux ou zones de Gaza. Il lui fallait réagir. Dans ce contexte, à quelques semaines d’une échéance électorale israélienne et d’une initiative diplomatique de son rival mortel Mahmoud Abbas, il a décidé de frapper. De ce point de vue, son prestige domestique a sans doute été renforcé.

Mais la perte d’un organisateur militaire précieux, de plusieurs dizaines de combattants, de centaines d’engins balistiques et de nombreux tunnels, est d’autant plus à prendre en considération que du côté israélien, les pertes humaines furent bien moindres et les dégâts matériels et militaires quasiment nuls, notamment grâce à un dispositif Dôme de fer s’améliorant mois après mois. Quant à l’Autorité palestinienne, honnie d’un Hamas ayant perpétré un véritable putsch à Gaza en juin 2007, elle a renforcé son aura diplomatique au détriment des islamistes. Bref, c’est ce qu’on appelle une victoire à la Pyrrhus…

 

Enfin, on ne négligera pas d’observer dorénavant le rôle de l’Égypte. La confrontation Israël/Hamas de novembre 2012 aura démontré que le gouvernement islamo-conservateur du Frère musulman Mohamed Morsi, loin d’épouser la cause de son allié naturel, dut jouer le rôle d’honnête courtier entre les deux protagonistes, poussé en cela par les grandes puissances. Ce pragmatisme, valant trahison pour les islamistes radicaux, est d’excellent augure pour la pérennité d’une paix de Camp David que nos lassants prophètes de malheur prétendaient menacée…