Le voyage de François Hollande en Algérie s’est achevé il y a un peu plus d’une semaine.
Historien spécialiste du Maghreb et de l’Algérie coloniale, Benjamin Stora faisait partie de la délégation. Il revient pour L’Arche sur cette visite en décryptant ses enjeux, économiques, culturels et géopolitiques, et en évoquant les sujets délicats comme les pieds-noirs, les harkis ou les juifs d’Algérie.
l’Arche : Benjamin Stora, quel regard portez-vous rétrospectivement sur ce voyage en Algérie ?
Benjamin Stora : Personnellement je pense qu’il a été une réussite. Il permet de reprendre des rapports importants avec l’Algérie qui est un grand pays de la Méditerranée aujourd’hui. Pour la France il était nécessaire que ce lien, qui avait été mis à mal depuis plusieurs années maintenant, soit rétabli.
Qu’est-ce que concrètement un tel voyage peut apporter aux relations entre les deux pays ?
Plusieurs contrats, on le sait, ont été signés avec toute une série d’entreprises françaises. Une quarantaine de patrons du CAC 40 ont fait le voyage. L’Algérie est un grand marché, c’est un pays jeune de 37 millions d’habitants, qui fait face à la France. Ce déplacement était très important pour les grandes entreprises françaises privées et publiques – n’oublions pas que l’Algérie est un très grand producteur de gaz et de pétrole. Ce pays ne peut être qu’un grand partenaire économique. Il y a ensuite, également, la proximité culturelle. L’Algérie reste l’un des plus grand pays francophones. Il faut ainsi savoir que chaque matin quelques 400 000 journaux écrits en langue française sortent dans ce pays, ce qui est considérable. Sur le plan culturel, il était évident que la France devait y reprendre pied. Cela a été le cas depuis plusieurs années au Maroc, et là il fallait, je crois, rétablir cet équilibre. Il y a enfin le plan géostratégique, avec le problème du terrorisme avec notamment ce qui se passe au Mali depuis plusieurs mois. Le Sahel reste une zone d’intérêt stratégique considérable aujourd’hui, non seulement pour l’Europe mais aussi pour les Etats-Unis. Il fallait aborder le sujet, puisque l’Algérie jusqu’à présent ne voulait pas intervenir au Mali. Je ne sais pas dans quel sens cela a pu être tranché, mais tout au moins fallait-il reprendre le la discussion. Cela fait donc beaucoup d’intérêts, de partenariats, que ce soit sur le plan culturel, économique, géostratégique… qui rendaient un tel voyage nécessaire.
L’actualité au Proche-Orient a-t-elle été abordée durant le voyage ?
Pas à ma connaissance, mais je n’ai pas été présent à toutes les discussions. Il faut garder à l’esprit que les grandes thématiques de l’Algérie par rapport à la France concernent la Méditerranée occidentale plutôt qu’orientale.
Que reste-t-il à faire pour que les relations soient définitivement dans une meilleure voie entre les deux pays ?
Il reste beaucoup à faire. D’abord il faut persuader une fraction des deux opinions publiques. On parle beaucoup d’une partie de l’opinion publique française qui reste hostile à l’Algérie. Ce n’est pas un secret, beaucoup de gens ont été blessés par leur départ en 1962, ceux que l’on appelle les « pieds-noirs ». Il y a également les harkis. Ce sont des questions très délicates dans la société française, qui sont en relation directe avec des mémoires douloureuses. Beaucoup de ces personnes restent très réticentes à un rapprochement avec l’Algérie. Il faut convaincre cette opinion publique de la nécessité effectivement d’avoir un autre type d’attitude, de passer un cap sans déchirer la page des mémoires. Mais il y a aussi du côté Algérien des fractions notamment à l’intérieur d’organisations politiques, qui sont et restent hostiles à la France, qui ne veulent pas d’une normalisation dans les relations, à cause du passé colonial. D’une rive à l’autre de la Méditerranée, deux fractions de populations sont encore dans des stratégies de refus de communication, donc il faut trouver le vocabulaire, les moyens pour faire en sorte de dépasser ces deux positions qui peuvent apparaître comme des positions extrémistes.
Justement, on a entendu des membres de communautés « pieds-noirs » ou harkis manifester le sentiment d’avoir été oubliés dans le discours de François Hollande. Que pouvez-vous leur répondre ?
Lorsque le président de la République française se rend en Algérie, c’est avant tout pour parler au peuple algérien. L’Algérie est un pays indépendant. Pour une grande partie de sa population, la colonisation a été mal vécue. Ils n’ont pas la même mémoire que ceux que l’on appelle les pieds-noirs ou celle des harkis. En France on a une mémoire différente de ces années-là, plus heureuse au départ, puis brisée par la guerre. Eux, leurs souvenirs sont en rapport avec la colonisation longue de 130 années. Ce ne sont pas les mêmes publics… Dès lors il faut trouver les mots. Il a fallu, pour la première fois pour un chef d’Etat français, s’adresser aux Algériens pour reprendre des relations qui avaient é
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té mises à mal. Il ne faut pas oublier cette dimension dans un voyage dans un pays étranger, qui a sa propre histoire, sa propre population, à qui il faut s’adresser en priorité. Mais je crois que le président de la République doit s’adresser aussi, peut-être dans une autre séquence, un autre temps, à travers d’autres commémorations et il y en aura, aux populations pied-noirs, aux harkis. Beaucoup de choses ont été faites pour ces populations. N’oublions pas qu’il y a eu une journée nationale d’hommage aux harkis qui a été instituée en France en septembre. N’oublions pas qu’il y a un mur à Perpignan inauguré en 2007 et dédié aux victimes européennes de la guerre d’Algérie, un autre monument qui a été édifié au quai Branly à Paris en hommage aux soldats français tombés pendant la guerre d’Algérie… Beaucoup de gestes ont été faits déjà en France. Mais à ma connaissance un chef d’Etat n’avait pas encore fait de geste en direction des Algériens. La nouveauté était aussi là. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire du côté de cette mémoire en général, et je ne suis pas pour opposer les mémoires, dire « puisque l’on évoque cette mémoire-ci, il faut aussi évoquer cette mémoire-là ». Je pense qu’il faut les ajouter, les compléter, poursuivre le travail en direction des communautés pieds-noirs et harkis.
Il y a aussi le cas particulier des juifs d’Algérie. Est-ce toujours problématique pour eux de retourner dans leur pays d’origine ?
Je ne le crois pas, beaucoup de voyages sont organisés, à Tlemcem, à Constantine par exemple, avec des gens qui retournent en Algérie. A l’occasion de la visite de François Hollande, il a été réitéré que les juifs d’Algérie pouvaient revenir… C’est bien sûr une nécessité de mémoire pour eux d’aller voir leurs cimetières, c’est tout à fait normal. Certains cimetières sont mieux traités que d’autres. Certains sont en mauvais état, d’autres moins…
Vous avez pu en voir ?
Oui, je vais régulièrement en Algérie. Le cimetière de Constantine est bien entretenu, c’est celui que je connais le mieux. Le cimetière de Khenchela aussi, il se trouve maintenant au cœur de la ville – avant les cimetières étaient à l’extérieur des villes mais depuis l’indépendance de l’Algérie, ils sont rentrés dans les centres ! Une ville comme Khenchela par exemple comptait 7 à 8 000 habitants en 1962, elle en dénombre aujourd’hui 100 000. La gestion de ces cimetières devient extrêmement difficile, d’autant plus que la communauté juive a quasiment disparu d’Algérie. C’est un problème qui doit être abordé entre les autorités algériennes et les autorités consulaires françaises, mais je crois que tout ce travail a commencé. Dans la délégation française il y avait le professeur Marc Zerbib, originaire de Constantine, qui s’est beaucoup préoccupé de cette question, qui en a discuté y compris avec le président de la République.
Vous évoquiez certains cimetières moins bien entretenus que d’autres, desquels s’agit-il ?
Je ne sais pas, la communauté juive était dispersée sur l’ensemble de l’Algérie qui est un territoire immense, grand comme cinq fois la France. Plusieurs dizaines de communautés y existaient, et il y a donc plusieurs dizaines de cimetières dispersés dans tout le pays. Le problème est de savoir si tous ces cimetières doivent être regroupés dans les grands centres comme Alger, Oran ou Constantine, si oui comment peuvent s’organiser ces regroupements, quelle part doit y prendre la communauté juive en France ou en Israël ou ailleurs… ce sont des questions qui se posent.
Mais sentez-vous que ces questions préoccupent les Algériens ?
Ils font attention, surtout depuis quelques années, c’est une préoccupation nouvelle chez eux. Il est évident que s’ils veulent s’ouvrir, avoir davantage de liens avec l’Europe, ils doivent prendre en charge cette question de la présence juive, pas seulement au niveau des cimetières mais aussi au niveau de leur histoire et de leur mémoire. Il va falloir par exemple qu’ils l’évoquent dans leurs manuels scolaires notamment, qu’ils la prennent en compte dans leur histoire longue, pas simplement celle de la France ou de la guerre. Ce sont des questions très importantes pour l’identité algérienne, qui est multiple. C’est aussi la responsabilité des historiens algériens de réintégrer la pluralité de cette mémoire dans tous les discours aujourd’hui. C’est un passage obligé, il n’y a pas que les cimetières. Par exemple, pour en revenir à la ville de Khenchela, aujourd’hui il y a un cercle de jeunes algériens qui travaillent sur la Kahena, qui était la reine des Aurès, dont l’origine juive est maintenant bien connue. Il est intéressant aussi de savoir que de jeunes algériens d’aujourd’hui réfléchissent à la présence de l’histoire juive dans cette partie de l’Algérie à travers l’histoire de la Kahena… Ce sont des choses nouvelles, qui n’existent que depuis trois ou quatre ans.