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Israël

Elections israéliennes, ce qui semble acquis… et ce qui l’est moins.

A sept jours de l’élection israélienne, tout est-il déjà « plié » ou y a-t-il encore une place pour de l’inattendu ? La campagne a-t-elle permis aux électeurs de se faire des idées claires et de choisir leur avenir en toute connaissance de cause ? Les Israéliens se déterminent-ils en fonction de thèmes précis ? Alain Dieckhoff nous répond. Directeur de recherche au CNRS, chercheur au CERI-Sciences Po, il s’est spécialisé dans la politique et la société contemporaine en Israël et a dirigé le volume « L’Etat d’Israël » (Fayard, 2008) dont une version anglaise réactualisée paraîtra au printemps (Routledge).

L’Arche : Alain Dieckhoff, nous sommes à quelques jours du scrutin. Le résultat est-il acquis ou peut-il selon vous y avoir encore des surprises ?

Alain Dieckhoff : On ne peut jamais dire que pour une élection les résultats soient acquis d’avance même si certainement dans les grandes lignes il n’y aura pas de modification majeure d’ici une semaine. Ce que l’on peut d’ores et déjà également dire, c’est que l’alliance entre le Likoud et Israël Beiteinu enregistre assez clairement un tassement. Ce sera sans doute le bloc dominant, mais si on en juge par les sondages des derniers jours, le score qu’il aura – vraisemblablement entre 35 et 40 sièges – sera plus faible que le score additionné aujourd’hui de ces deux partis. Ensemble ils ont 42 sièges dans la Knesset sortante. Les sondages leur donnent moins que cela pour les prochaines élections. Cela signifie que la stratégie d’union n’a pas été efficace pour engranger les votes.

Etait-ce donc une mauvaise stratégie ?

C’est toujours difficile de le dire a priori. Ils ont fait ce choix parce qu’ils pensaient pouvoir ainsi consolider leurs acquis, voire les renforcer. Il semble que c’est l’inverse qui se passe. Il y a des explications à cela, je pense que cela tient au fait que cette alliance avec Lieberman n’est pas attractive pour certains groupes de votants. On trouve ainsi des électeurs de droite libérale qui votaient traditionnellement Likoud, et qui vont vraisemblablement passer aux partis centristes. Et de l’autre côté, Lieberman n’est pas non plus attractif pour certains électeurs plus traditionalistes, plus religieux, qui votaient pour le Likoud et qui là vont reporter leurs voix vers le parti qui monte, à savoir Habayit Hayehoudi, le Foyer Juif.

Cette apparition justement de Naphtali Bennett, et de ce parti le Foyer juif, est-elle signe d’une droitisation de l’électorat Israélien ?

C’est un parti qui existait déjà, qui est en réalité une nouvelle mouture du parti national religieux. Ce qui est indéniable par contre est qu’il avait peu de sièges dans la Knesset sortante et qu’il en aura vraisemblablement au-dessus de 10 dans la nouvelle. Encore une fois, il y a de toute évidence une défection de certains électeurs du Likoud qui se reportent sur ce parti. De façon plus générale, pour répondre à votre question, oui, je crois qu’il n’y a pas de doute, depuis quelques scrutins il y a une certaine droitisation de l’électorat Israélien. Mais les forces de gauche et de centre-gauche ne sont pas pour autant laminées. Les sondages montrent qu’elles conservent une certaine stabilité, et même plus que cela, le parti travailliste fera vraisemblablement mieux cette fois-ci que dans la Knesset antérieure. On ne peut donc pas avoir une vision en blanc et noir. Certaines évolutions renforcent plutôt une certaine droitisation, mais en même temps il y a quand même des forces qui vont à l’encontre de ce mouvement, qui ne sont pas complètement négligeables.

Et à gauche, comment analyser le paysage ?

Contrairement à ce qui s’est passé à droite, avec une union Likoud/Israël Beiteinu, la gauche et le centre arrivent à la bataille dispersés. Mais finalement, ce n’est peut-être pas un mauvais choix. Le parti travailliste peut ainsi vraiment s’affirmer sur une position qui est plus à gauche. De l’autre côté nous avons deux partis centristes, celui de Livni, « Hatnoua » (le Mouvement), et celui de Yair Lapid (« Yesh Atid »), qui eux se positionnent clairement au centre, avec des messages un peu différents. Si on met ces partis ensemble dans un bloc gauche-centre, compte tenu des enquêtes à quelques jours du scrutin, ils ne s’en sortent pas si mal que cela, bien que se présentant séparément face aux électeurs. D’un institut de sondage à l’autre cela peut varier, mais ils pourraient semble-t-il tous ensemble arriver à 45 sièges. Ce n’est pas mal du tout.

La campagne a-t-elle permis d’évoquer toutes les thématiques ?

Je pense que pas mal de thèmes ont été évoqués, qu’ils concernent la politique étrangère, régionale, la défense avec notamment l’Iran, les rapports avec les Palestiniens, les questions socio-économiques, le sujet de la conscription des ultra-orthodoxes pour le service militaire… Toutes ces thématiques ont été évoquées, de façon évidemment différente. Certains partis en ont parlé, d’autres pas, les stratégies étaient assez variables. Le Likoud a plutôt essayé de se présenter comme le garant de la sécurité nationale. Le parti travailliste a davantage insisté, par la voix de sa leader, sur la dimension socio-économique. Les camps n’ont pas fait campagne sur les mêmes questions, mais grosso modo elles ont chacune été abordées dans la campagne.

L’électorat Israélien vote-t-il en fonction d’un thème particulier ?

C’est très variable. Il est évident que les partis qui ont une dimension communautaire forte – que ce soit le parti Shass, ou les différents partis arabes – s’adressent à un segment très précis de l’électorat. Pour le Shass la dimension de politique étrangère n’est pas dominante, leur idée est plutôt comme le dit leur slogan de « redonner une âme à l’Etat », donc de renforcer la présence de la religion en Israël. Le Likoud et Beiteinu insistent plus sur l’international, et ils touchent par conséquent un électorat certainement plus attentif à cette dimension-là. Les attentes des uns et des autres sont très diverses. Ce qui me paraît en tout cas important de dire, c’est que contrairement à une vision qui est très présente à l’extérieur d’Israël, il n’y a pas que la dimension de politique régionale qui motive les électeurs Israéliens. Comme dans d’autres pays, ils se déterminent selon différents sujets dans leurs choix politiques.

Les relations avec l’Iran et les Américains peuvent-elles aussi jouer un rôle important dans ce choix ?

La relation avec les Américains n’est pas capitale dans la campagne, mais l’Iran oui. Là encore tout dépend des partis. Netanyahou joue cette carte, il a beaucoup insisté sur l’idée qu’il fallait le reconduire dans ses fonctions, car il y aurait des échéances importantes pour Israël dans son positionnement régional. Il a d’ailleurs souvent répété au cours de son mandat de premier ministre, les quatre dernières années, que la question cruciale était celle de la nucléarisation de l’Iran.

Enfin, on se souvient qu’aux avant-dernières élections, il y avait eu ce parti des retraités qui avait étonné tous les observateurs en obtenant une dizaine de sièges. Une surprise comme celle-ci pourrait-elle se reproduire ?

Non, cela paraît assez peu vraisemblable, il n’y aura pas de surprise de ce type-là. La seule figure nouvelle qui capte peut-être une partie d’un électorat qui ne sait pas trop où se positionner, c’est Yair Lapid. Il est un nouveau venu en politique, et une partie des gens qui ne savent pas où se situer entre le parti travailliste et le Likoud, voteront pour lui, comme choix alternatif, et c’est cela qui assurera très vraisemblablement son succès. Mais cela ne garantit pas la perpétuation de ce parti pour les années à venir… Il peut tout à fait être, comme d’autres partis centristes avant lui, un groupe éphémère qui existera pendant une législature avant de disparaître.

Alain Dieckhoff est l’auteur de nombreux livres sur Israël et le Proche-Orient, dont Le conflit israélo-arabe, 25 questions décisives publié par Armand Colin.