Les saisons arabes, avec leurs promesses et leurs craintes, permettent à tous les acteurs des conflits présents et passés de se poser ou de reposer des questions. Sur le devenir de ces pays, mais aussi sur les liens entre ceux qui y habitent et y habitaient. D’où la volonté de revisiter les territoires et les mémoires.
Sarah Benillouche fait partie de ces artistes qui, non pas reviennent sur leurs pas, mais tentent à nouveau de les imprimer dans l’encre de leurs souvenirs. La cinéaste se rend en Tunisie où après quelques familiarisations avec des repères d’antan, elle tente de redonner vie à un grand personnage de la scène tunisienne : Habiba Messika.
Cette artiste née dans le quartier juif de Tunis en 1903 quitta l’école pour apprendre le chant et le solfège et présente son premier récital à la Marsa. Dans ses pièces, dans ses chants, elle incarnera l’indépendance. D’un pays tout d’abord, mais aussi et surtout des femmes. Elle mourut brûlée vive en 1930. Chanel déclare à son sujet : « Habiba est un tempérament de feu sous ses grâces d’orientale. Elle imposera Paris en Afrique du Nord. » Ses amours officiels et officieux, ses représentations scéniques, souvent en tenues masculines, comme lorsqu’elle interpréta Roméo et échangeant un baiser avec Juliette qui faillit provoquer une contre-révolution de la part de nombreux conservateurs. Elle rappelle d’ailleurs beaucoup l’artiste américaine Adah Isaacs Menken, de par son talent et l’expression de son hédonisme.
Afin de préparer un spectacle sur Habiba, la réalisatrice rencontre ceux qui habitaient ses murs, ceux qui sont habités par sa mémoire et ses textes. Comme cette jeune femme qui reprend les chansons de Habiba lors d’une manifestation contre le pouvoir en 2011. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus émouvant et rassurant dans ce documentaire : que la jeunesse la connaisse. Plus que les souvenirs des anciens, on est marqué par ces jeunes femmes inquiètes et courageuses, qui revendiquent leur liberté. Même une lycéenne répond correctement à la question de savoir qui est Habiba.
Les années 30, dites les années folles, furent celles de l’entre-deux-guerres, de l’entre-deux-folies des hommes. Un bref moment marqué par la crise économique mondiale et aussi par une volonté de liberté des artistes, femmes et autres personnes qui seront rapidement rattrapés par la censure et les systèmes politiques et religieux. Comme le dit une dame sur scène, Habiba était avant tout une femme qui sortit du ghetto pour ne pas y retourner, pour fréquenter des gens de tous horizons, luttant contre la nostalgie et pour le progrès et la condition humaine.
En Tunisie, là où le Printemps arabe a commencé, certains présentent des modèles comme Habiba afin d’éviter de devoir tout recommencer dans leur lutte pour l’égalité et le rapprochement avec Dionysos. Ce documentaire permet avec sincérité de comprendre ce que Habiba Messika apporta à la société tunisienne, représentant comme le résume quelqu’un dans le film : le défi. En espérant voir l’enthousiasme de l’artiste qui danse à la fin du documentaire pouvoir interpréter et véhiculer ces valeurs.