« Si elle ne traînait pas dehors, elle n’aurait jamais été violée. »
Cette excuse qui accompagne cet acte peut se retrouver sous diverses présentations. La cause étant toujours l’heure décente de sortie d’une femme (soit avant la sortie du chien pour ses besoins), les habits (ou leur manque) de ces tentatrices, bref tout ce qui pourrait « encourager » les pulsions d’un honnête homme moyen, vaquant à tout sauf à ce défouloir en parloir.
Cette citation se retrouve dans Invisible, le bouleversant long-métrage de Michal Aviad. Basé sur des faits qui se sont déroulés à Tel Aviv en 1978, et reprenant des images d’archives, le film raconte l’histoire de deux femmes, comptant parmi les seize victimes d’un violeur en série. Deux femmes, victimes du même mauvais hasard d’un soir et qui seront réunies par des circonstances aussi inattendues. Nira (interprétée par Evgenia Dodina) tourne un film sur des manifestants israéliens qui tentent d’empêcher la destruction d’un champ palestinien. Parmi eux se trouve Lily (Ronit Elkabetz) dont l’image heurte soudainement sa mémoire. Et ce conflit israélo-palestinien qui prenait une grande partie de la vie de ces femmes pour des raisons de placebo se retrouve au second plan de leur histoire commune. De ce film qu’il faut reconstruire.
Il n’y a pas de prescription pour les viols. Du moins pas pour leurs victimes. Et il faut souvent que les scandales et les injustices s’ébruitent pour que les lois ressemblent plus à l’humanité qu’elles sont censées servir. Ainsi, en Suisse, jusqu’à l’affaire du viol de Philippine L. à la
fin des années 90, la prescription pour un viol était de 5 ans seulement. Ainsi, une victime mineure avait peu de chances de témoigner, empêchée par la mise en condition du violeur, transformant victime en coupable.
Invisible, plus justement nommé en hébreu « Cela ne se voit pas sur toi » traite avec tact de ce sujet. Une vie peut passer sans laisser de trace apparente sur les proches, dans un semblant de normalité, où finalement les autres sont également meurtris par un semblant de cicatrisation. Et contrairement à certains films qui prétendent montrer des actes pour les condamner, Invisible reconstitue l’horreur de l’instant dans les séquelles de l’après.
La curieuse dialectique entre la fiction et la réalité permet de dépasser les frontières, d’accentuer ce besoin de ne plus se raconter d’histoire, de ne plus heurter les autres par les fictions que l’on s’invente pour mieux supporter le quotidien. C’est cela que tentent d’accomplir Lily et Nira.
Pour son premier long-métrage, Michal Aviad réussit un film important et beau cinématographiquement parlant. Aidé en plus par cette qualité qui ne se travaille pas : la présence. Nous connaissions bien celle de l’éblouissante Ronit Elkabetz et nous avons le plaisir de mieux apprécier celle d’Evgenia Dodina. Récompensé dans plusieurs festivals, notamment en France, il ne serait pas surprenant qu’Invisible le soit encore pour des cérémomies sur cette Côte d’Azur que Lily arrive à retrouver dans une chambre d’hôtel de seconde zone.