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Cinéma

Regards sur le cinéma israélien du 12 au 18 juin à Marseille

Depuis 15 ans, les festivals du cinéma israélien de Paris et Marseille sont une vitrine attendue de création cinématographique. Rencontre avec Charles Zrihen et Xavier Nataf.

l’Arche : Créer et développer les festivals du cinéma israélien a été une gageure, aussi bien à Marseille que Paris. Comment a démarré l’aventure ?

Xavier Nataf : Avec du nez et de la chance. Les deux festivals ont été créés à un an d’intervalle. Nous sommes arrivés à la même époque sur la même idée. D’une certaine manière, nous avons accompagné le développement du cinéma israélien. De cette nouvelle période incroyable. Les réalisateurs, mais aussi les systèmes de financement ont été très présents dans l’accomplissement de ces projets. J’avais surtout le sentiment d’être à la bonne place au bon moment. D’arriver à un moment historique du cinéma israélien, de comprendre cette évolution et d’avoir envie de présenter cela au public français.

Charles Zrihen : Deux choses m’ont donné envie de créer un festival. Une passion pour le cinéma et une passion pour Israël. Nous avons présenté les premiers festivals sur fond de regain des violences antisémites en France. Une certaine image d’Israël était présentée dans les journaux télévisés. D’où un besoin évident de rétablir non pas « la vérité » mais de présenter d’autres points de vue. Parallèlement, émergeait en Israël un nouveau cinéma, dans une période post Uri Zohar, avec des films engagés comme Beyond The Wall (1984) d’Uri Barbash. Il y avait aussi une volonté du public français de découvrir ce nouveau cinéma. L’année où cela a vraiment décanté, c’est avec le Mariage tardif (2001) de Dover Kosashvili avec Ronit Elkabetz. Tout à coup, une dizaine de nouveaux films sont sortis. À partir de là, on a commencé à parler de cinéma israélien. Des accords de coproduction ont facilité les créations locales. Ces films se sont exportés et retrouvés primés dans de grands festivals internationaux comme Cannes.

Les festivals ont-ils bénéficié de l’aide d’associations ou d’autres partenaires ?

Xavier Nataf : À l’époque je dirigeais le Centre culturel juif. J’avais déjà, dans le cadre de cette activité, développé des événements autour du thème de l’identité juive et du cinéma israélien. Un jour, à une table avec le Consul général d’Israël de l’époque et le Directeur du cinéma d’art et d’essai, nous décidons de monter ensemble un festival de cinéma israélien. Trois types de compétences, trois personnes ont exprimé l’envie de développer des choses et se mettent à monter un projet fou. Des projets fous, nous en proposons dix par jour, mais il se trouve que celui-là s’est développé et a tenu. Charly a raison. L’image d’Israël était très abîmée et notre démarche ne consistait pas à prétendre montrer « la vérité d’Israël ». En multipliant les manières de voir Israël, en y apportant de la sensibilité et de la subjectivité, on arrivera à faire évoluer les mentalités. Paradoxalement, à Marseille, la mayonnaise a très vite pris avec les non-juifs, amoureux et curieux de cinéma. Là où cela a coincé, au début, c’est avec certains juifs qui ne voulaient pas entendre parler de femmes abandonnées, d’homosexualité, de parcours de vies très différents. Ils s’attendaient plutôt à une image officielle. En résulta un travail pédagogique aussi bien d’un côté que de l’autre. Le FSJU a eu une espèce d’instinct en décidant d’investir de l’argent dans le cinéma israélien alors qu’a priori, ce n’était pas sa première vocation. Mais il a soutenu aussi bien les festivals de Marseille et de Paris et la création de Judaïciné, une structure qui aide le cinéma. David Saada, qui était le directeur général à l’époque, a compris que bien qu’il s’agissait d’une culture plus alternative qu’officielle, on y retrouve avant tout de la qualité, authentique et populaire. Il est de bon ton de dire que les institutions sont réacs, qu’elles sont plus souvent suiveuses que précurseurs. Là, ce ne fut pas le cas.

Charles Zrihen : En ce qui me concerne, ça coince toujours. Je me suis même fait attaquer physiquement il y a quelques années parce que j’avais présenté le film Circus Palestina (1998) d’Eyal Halfon. Un matin aussi, je collais des posters dans un restaurant du Marais. En y repassant l’après-midi je découvre qu’ils n’y sont plus. Je demande au patron la raison. Il me répond qu’un rabbin lui a certifié que s’il n’enlevait pas le poster, il n’aurait plus son certificat de cacherout ! Pour les religieux, cela représentait un hiloul hachem. Les communautaires, comme le dit Xavier, souhaitaient plutôt voir une image d’Épinal. Pour tous ces gens, il n’y a bien entendu pas d’homosexuels en Israël, pas de femmes battues, les Palestiniens se contentent de venir construire des maisons et le soir de rentrer dans leurs territoires. Bref, de nombreuses choses dont certains ne voulaient pas entendre parler. Mais la mayonnaise a vite pris aussi. Lors du premier festival, on reçoit 1 500 personnes. Deux ans plus tard on avait dépassé la barre des 5 000 ! Juifs et non-juifs viennent découvrir ce cinéma. La grande presse manifeste aussi son intérêt, avec des articles dans Le Monde, Libération, le Nouvel Obs… Il y a eu des rencontres professionnelles entre réalisateurs et producteurs avec des représentants du CNC, de la Mairie de Paris, du ministère de la Culture, qui se sont impliqués financièrement. On est sorti du ghetto communautaire. Telles étaient d’ailleurs mes ambitions dès le début : montrer d’autres facettes d’Israël que les journaux télés et toucher le grand public et les cinéphiles.

Extrait d’un article paru dans l’Arche 641 d’avril 2013