La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
France

Le Diable en tête

Terrorisme et histoires humaines. Un entretien avec Marc Trévidic.

Juge d’instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de Grande Instance de Paris, Marc Trévidic publie en ce début d’année son second livre aux éditions Lattès, intitulé Terroristes, les 7 piliers de la déraison. À travers sept courts récits prenant la forme de nouvelles, ce spécialiste des filières islamistes montre un envers du décor fait d’histoires humaines, où l’on voit comment des femmes et des hommes peuvent basculer, et où l’on découvre également les moyens d’enquête qu’utilise la justice pour les découvrir. Il évoque en détail les thématiques de cet ouvrage.

L’Arche : Marc Trévidic, d’où est venue l’idée de ce livre ?

Marc Trévidic : Je voulais faire quelque chose de différent de mon premier livre paru il y a deux ans, qui était un essai plus traditionnel, plus théorique. Je me suis rendu compte qu’on avait du mal à expliquer simplement sous l’aspect essai, et que des petites histoires pouvaient expliquer mieux, d’une autre façon. Je voulais illustrer les sept thèmes choisis par des nouvelles, tirées de la réalité, pour faire comprendre un peu mieux ce qui se passe en ce moment dans notre société vis-à-vis de ce phénomène à la fois de radicalisation et de terrorisme.

Et vous avez choisi ce type d’écriture, sous forme de nouvelles, pourrait-on dire ?

J’ai toujours écrit ! Le problème est que dans mon travail on écrit des choses un peu théoriques, un peu lourdes par moments, et on a besoin de sortir de cela. Arriver à écrire sur des thèmes importants dans une nouvelle a notamment l’avantage d’être plus agréable pour celui qui écrit, mais permet aussi d’autres perspectives, notamment de se mettre dans la tête de différents acteurs du terrorisme et de l’antiterrorisme. Ce n’est pas seulement le point de vue de l’auteur qui s’exprime.

Vous revenez bien sûr en détail sur l’affaire Merah. On a beaucoup entendu parler à son sujet de « loup solitaire ». Vous récusez cette expression et lui préférez celle d’« auto-entrepreneur sous franchise Al Qaïda » ?

Oui. Des individus comme Merah suivent un cursus, un itinéraire qui est connu, avant de devenir terroristes. Ils se retrouvent dans un milieu salafiste. Pour Merah c’est le milieu de Toulouse qui est bien connu chez nous, de par les enquêtes. Après, ils voyagent, par exemple dans ce cas p r é c i s , jus qu’ au Waziristan. Évidemment, ils finissent leur cycle initiatique. La nouveauté est qu’ils passent à l’action seuls ou en petits groupes. Mais on ne peut pas parler de loups solitaires pour autant. Ils partagent une même idéologie et ils sont entourés de gens qui les ont encouragés, formés et poussés à faire ce qu’ils font. Une seule personne passe à l’action, mais cela ne veut pas dire que d’autres n’ont pas participé à l’organisation.

Le fait qu’une seule personne passe à l’action est-il récent ?

Oui, on vivait sur le schéma de groupes beaucoup plus construits et solides. C’est aussi parce qu’aujourd’hui les grands groupes terroristes n’arrivent pas à exporter leur djihad en Europe, n’arrivent pas à créer des structures, des réseaux solides comme ils en avaient auparavant. Ils demandent à ceux qui partagent leurs idées de se débrouiller tout seuls, de faire ce que l’on appelle le djihad individuel, terme qu’ils utilisent eux-mêmes. Ils leur disent en substance : « Faites le djihad là où vous êtes, avec les moyens du bord et vous ferez du mal à l’ennemi, mais n’attendez pas grand-chose de nous ». C’est à la fois un aveu de faiblesse et la seule façon de continuer à exister pour eux.

Pourquoi ces groupes n’arrivent-ils pas à installer de grands réseaux en Europe ?

Pour exporter son djihad, il faut être puissant chez soi. Or, Al Qaïda a quasiment disparu. Avec les frappes américaines, ils sont complètement désorganisés et ils ne sont plus capables de faire cela. La question pour l’avenir est de savoir si ces groupes vont être capables de redevenir assez puissants pour ensuite pouvoir exporter leur djihad. Dans les années quatre-vingt-dix, à partir de 95, le GIA était très fort et a réussi à faire des campagnes d’attentat s en France. Aujourd’hui, on n’a pas l’impression qu’AQMI en soit capable. Ils peuvent faire du mal à la France, mais à l’étranger. Ils prennent des otages, ils tuent des Occidentaux mais ils font cela chez eux. Ils n’ont pas encore réussi à frapper la France. Le défi, c’est de ne pas les laisser devenir suffisamment puissants sur leur territoire pour pouvoir après exporter leurs actions.

En France, justement, après l’affaire Merah, on redoutait une influence qui n’a pas eu lieu pour le moment. Dans votre livre, vous semblez dire que Merah est allé trop loin et a choqué même des gens qui pourraient être en accord idéologique avec lui.

Oui, la contagion n’a pas eu lieu. Certains groupes terroristes pensaient voir surgir plein de Merah, des dizaines de tueurs sur le même modèle, commençant à faire des actions en France, telle une sorte de révolte musulmane dans les pays occidentaux. Cela a toujours été l’espoir d’Al Qaïda par exemple, ou maintenant de groupes du Yémen qui essayent de pousser ces gens-là. La vérité est qu’il y a toujours une nuance entre des idées radicales et un agissement criminel. C’est toujours une minorité qui passe à l’acte. Il faut aussi pouvoir le légitimer quand c’est au nom d’une religion. Quand vous êtes un radical, autant vous pouvez justifier le fait que l’on assassine des militaires français de régiments qui se sont engagés en Afghanistan, autant vous commencez à perdre le fil quand quelqu’un se met à tuer des enfants. Et même chez les radicaux que l’on surveille, une bonne frange n’a pas applaudi. Malheureusement, d’autres applaudissaient quand même, ce n’est donc pas complètement rassurant.

Vous pouvez lire la suite de l’interview sur la version papier de l’Arche qui vient de sortir en kiosques et librairies.