La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 

L’esprit de Cordoue

Pourquoi l’Arche consacre-t-il un dossier à Maïmonide et Averroès ? Les raisons ne manquent pas. La première : à une période où le divorce judéo-arabe et judéo-musulman n’est pas loin d’être prononcé, l’évocation de la vie, de l’oeuvre, du parcours de ces deux hommes pourrait apporter à tous ceux qui estiment que ce divorce n’est pas fatal, un peu de réconfort.

La seconde : à une époque où on remet en cause ou en question en tout cas le mythe des harmonies andalouses, il est important de revisiter ce mythe et de voir ce qu’il en reste en interrogeant les meilleurs spécialistes.

Troisième raison : Quoi qu’on pense de cette période qui n’a pas été aussi enchanteresse qu’on a bien voulu le dire ni aussi violente qu’on se plaît tout d’un coup à la décrire, les deux hommes qui l’incarnent et qui font l’objet de notre dossier ont été de grands esprits qui ont plaidé pour l’harmonie, l’ouverture, le dialogue. Autant de choses dont les uns et les autres gagneraient à s’inspirer par les temps qui courent.

La quatrième raison s’appelle Cordoue. Pas seulement parce qu’elle a été le lieu où les plus belles pages de la littérature juive ont été écrites mais à cause de l’esprit qui s’en dégage. Après tout, le centre historique de la ville n’est-il pas inscrit dans le patrimoine mondial de l’Unesco ?

La cinquième raison tient à l’actualité récente. L’Espagne est-elle en train de retrouver sa mémoire juive ? Coup sur coup, le pays élargit les conditions d’accès à la nationalité pour les descendants des juifs expulsés d’Espagne. Les autorités andalouses étudient une modification réglementaire permettant de célébrer des mariages juifs dans l’ancienne synagogue de Cordoue. Et on annone le jumelage prochain de Cordoue et de Tibériade.

Chacun de ceux qui s’expriment dans ce dossier donne son point de vue. Tous ces points de vue sont personnels et ne se rejoignent pas nécessairement. Mais une chose est commune : l’idée que les égarés ou les perplexes modernes que nous sommes tous restés un peu gagneraient à se pencher de temps à autre sur ces pages très anciennes.

Pérès-Chalgoumi. C’était à la mi-mars à Paris. Le Président israélien, en visite en France, rencontrait une vingtaine d’imams et de responsables de communautés musulmanes de la région parisienne, conduits par l’imam de Drancy, Hassen Chalgoumi.

Rencontre émouvante qui se tenait à la veille de la commémoration des assassinats commis par Mohammed Merah en 2012 à Toulouse et à Montauban. Pérès, droit comme un i, concentré, au mieux de sa forme, tour à tour lyrique, passionné, précis, d’un indécrottable optimisme qui revigorait tous ceux qui étaient présents. « L’optimisme seul a un avenir. Nous devons être unis comme nous l’étions à l’époque de notre ancêtre Abraham. Je vous considère comme des frères de route, c’est pourquoi je suis très heureux et tiens notre dialogue pour une rencontre de première importance. » Et d’ajouter que le véritable conflit, celui qui reste à régler, est celui avec les Palestiniens. Mais il y a des points d’accord. L’opinion est favorable à deux États, un État palestinien et un État juif qui vivront côte à côte. Tous savent parfaitement qu’il n’y a pas d’alternative à cela, qu’il n’y a aucun sens à reporter cette solution. Le report ne peut être que dangereux.

L’imam Chalgoumi de son côté, svelte, chaleureux, pénétré du moment historique qu’il vit, dit « Toda Raba » en hébreu, souhaite une longue vie à son hôte et confie qu’il racontera ce moment de grâce à ses petits-enfants. Il revient sur les assassinats de Toulouse et Montauban. « Pour nous, le 11-Mars, c’est comme le 11-Septembre, Merah a assassiné des musulmans avant d’assassiner des juifs. Il n’a rien à avoir avec l’islam et n’a rien à voir avec les enseignements de l’islam. On ne veut pas importer les conflits, il faut exporter l’amitié.»

L’un et l’autre ont rappelé que nous étions des descendants d’Abraham, des peuples du Livre, une même famille. L’un et l’autre ont plaidé pour l’espoir. Contre le scepticisme. Contre la peur. « La terreur est la terreur, a conclu Shimon Pérès, et la paix est la paix. Mon message ? Ne jamais baisser les bras, ne jamais avoir peur. » L’autre dimanche, dans ce grand hôtel parisien, il y avait des réminiscences de l’esprit de Cordoue.