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Cinéma

Intouchables, retour sur images

Rencontre avec Eric Tolédano et analyse des raisons d’un succès.

C’était le 2 novembre 2011. Intouchables sortait sur les écrans. Immédiatement , la France faisait un triomphe à cette histoire d’amitié entre Philippe, riche aristocrate paraplégique incarné par François Cluzet, et son employé Driss, jeune de  banlieue incarné par Omar Sy. Des répliques comme « Pas de bras, pas de chocolat » sont maintenant entrées dans le langage courant. Le film est devenu culte, a attiré 19,4 millions de spectateurs dans l’hexagone et rencontré un triomphe partout dans le monde (voir encadré). Éric Toledano en est le co-réalisateur, avec Olivier Nakache. Il confie à l’Arche les souvenirs marquants qu’il garde de ces 16 derniers mois qu’il vient de passer, et évoque aussi ses projets futurs.

 

L’Arche : Commençons par le plus récent… Intouchables n’a finalement pas été retenu pour concourir aux Oscars. Comment avez-vous pris cette nouvelle ? Est-ce une déception ?

Éric Tolédano : Non, on ne peut pas parler de déception à ce stade-là, compte tenu de toutes les surprises et de toutes les émotions que nous a apportées le film depuis sa sortie. La nomination aux Oscars aurait été évidemment formidable mais Intouchables nous a emmenés tellement loin qu’il est impossible de parler de déception. Par ailleurs, on a passé presque 18 mois à défendre le film aux quatre coins de la planète et il est maintenant temps de passer à autre chose. Les Oscars auraient été une belle conclusion mais la récompense du Goya en Espagne nous a comblé de la même manière. De surcroît, les nominations aux Golden Globes et aux Bafta en Angleterre ont fait que le film a eu un parcours déjà plus qu’exceptionnel. Bref, on ne peut être déçu à ce stade-là de la compétition.

Le film a, on le sait, eu un immense succès à l’étranger. Avec le recul, comment vous expliquez-vous que cette histoire ait parlé à tant de gens d’origines et cultures différentes ?

On a souvent essayé d’analyser les raisons de ce succès. Ce sera peut-être même l’objet d’un livre qui sortira aux éditions Grasset avant l’été et dont les recettes seront reversées au profit d’associations. Intouchables est avant tout un film sur la réconciliation. Et même si cela reste souvent un fantasme, l’être humain développe une très forte aspiration au vivre ensemble. Dans un monde en crise où les clivages sont nombreux, le film a probablement proposé une image de réconciliation qui a fait du bien. Les Américains appellent d’ailleurs cela les « feel good movies. » Par ailleurs, le ton du film a sûrement joué dans ce succès international. Dans la lignée des comédies italiennes, nous avons voulu faire rire avec des choses graves, un rire qui sauve alors de la dépression et de la chute. En ces moments difficiles, c’est peut-être ce dont les gens avaient envie, à l’instar des deux personnages du film qui sont sauvés par leur humour commun et par leur envie de vivre les choses ensemble. Enfin, les thématiques et les problématiques du film touchent toutes les sociétés.

Quels sont les pays les plus exotiques où vous êtes allés le présenter ?

Sans conteste le pays le plus exotique où nous sommes allés était le Japon. Ce territoire constitue pour nous le véritable « ailleurs », l’endroit où rien ne ressemble à notre société occidentale : ni la façon de penser, ni la façon de manger, ni la façon de se comporter. On était vraiment loin de chez nous à tous les niveaux et on était donc curieux de voir comment le public japonais allait accueillir le film. Intouchables a finalement été un grand succès là-bas avec plus de 1 300 000 entrées.

Les réactions sont-elles les mêmes dans les différents pays où vous vous rendez ?

Non, pas forcément, dans la mesure où chaque pays a son histoire et son contexte sociologique propre. En Allemagne par exemple, la presse nationale a noté que le rire issu du film était un rire libérateur, en réponse à une société assez difficile à dérider notamment sur des sujets comme le handicap ou les problèmes d’immigration. Le film a donc surpris, le bouche à oreille a fonctionné de manière très forte. Parmi les surprises, il y a eu la réaction allemande à la scène où Omar Sy rase François Cluzet en lui faisant la moustache d’Hitler. Nous étions sceptiques avec Olivier Nakache sur les réactions lors de la projection à Berlin. Quelques mois plus tard, un sondage est paru dans lequel les spectateurs allemands votaient pour leur meilleure réplique. Cette scène est arrivée en tête, plus précisément le moment où Omar lui dit : « Ça vous donne pas envie d’envahir des pays ? » Ce qui a caractérisé l’aventure de ce film c’est la surprise, nous n’avons jamais pu anticiper ni les réactions ni les événements qui allaient jalonner la carrière de ce film qui nous a largement dépassés.

Quelles sont celles qui vous ont le plus ému ?

L’avant-première en Israël restera un moment unique. Une grande projection avait été organisée en présence du maire de Tel Aviv ainsi que beaucoup d’acteurs comme Gila Almagor, issus d’un cinéma israélien particulièrement tonique et brillant. Nous avons également assisté à une avant-première avec des personnes handicapées suite aux attentats. L’émotion était forcément au rendez-vous. La projection du film lors du Festival de Sarajevo a été également exceptionnelle, chargée d’histoire et de sens. C’est sans doute l’une des projections les plus émouvantes à ce jour. Trois mille personnes réunies à Sarajevo, en plein air, ça aussi c’était inattendu.

Vous pouvez retrouver la suite de l’interview sur la version papier de l’Arche, disponible en kiosques et librairies.