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Arts

Le cri intérieur de Szafran

D’immenses serres aux végétations luxuriantes. Des escaliers aux perspectives suffocantes. De délicats portraits de femme noyés dans un bleu profond.

L’oeuvre de Sam Szafran frappe d’emblée par sa poésie tour à tour inquiétante et douce.  La Fondation Gianadda, à Martigny, en Suisse, consacre jusqu’au 16 juin une vaste rétrospective à ce virtuose du pastel. L’occasion de revisiter cinquante ans de création.

Né en 1934 à Paris de parents émigrés juifs polonais, Sam Szafran grandit dans le quartier des Halles.  Son père est arrêté dès les débuts de la guerre. Il mourra en déportation. Sam, lui, s’enfuit du Vel d’hiv en juillet 42, sa tante lui ayant conseillé, à cause de sa blondeur, de partir en disant qu’il était le fils du concierge. Caché dans le Loiret pendant une partie de la guerre, il rentre à Paris à l’été 1944. A neuf ans, il est alors arrêté par la Waffen-SS en gare d’Orléans, puis transféré au camp de Drancy. Libéré après la fuite des Allemands le 18 août, il sera retrouvé par sa mère à l’hôtel Lutetia.

Après une jeunesse sur le fil du rasoir, il trouvera sa voie dans la peinture. Un jour, un voyou qu’il fréquente observe le vélo qu’il a décoré et lui lance qu’il est dommage de gâcher un talent pareil. Ebranlé, Szafran s’inscrit à des cours de dessin. Il fréquente la bohème du Montparnasse d’après-guerre, dont Alberto Giacometti et son frère Diego. Mais aussi Henri Cartier-Bresson, qui deviendra un intime et dont l’exposition présente une série de clichés offerts à Szafran. Au fil du temps, le pastelliste se forge pourtant une solide réputation de solitaire, reclus dans son atelier de Malakoff, et ne se rendant qu’à contrecœur aux vernissages de ses propres expositions, d’ailleurs rares. Une conséquence du traumatisme des années de guerre, analyse Alain Veinstein, qui vient de faire paraître un livre d’entretiens avec Sam Szafran (1) – un exercice que ce dernier avait fui jusque-là : « Ce qu’il appelle son ‘expérience juive’ le conduit à une forme de silence. Il veut éviter le plus possible de se mettre en avant, de rouler des mécaniques, parce qu’il s’estime dans un deuil qui finira avec sa vie. »

Grand travailleur, il est capable de laisser mûrir une toile dix années durant. Il creuse quelques grandes obsessions, à commencer par les marches donc, nées d’une terreur d’enfance – son oncle menaçant de le lâcher du haut d’une cage d’escalier. Et ne cesse de se remettre en questions, de toiles en toiles. « Il est dans un doute permanent », explique encore Alain Veinstein. Preuve d’une vitalité inentamée, trois très grands formats ont été créés spécialement pour cette exposition. L’aventure intérieure continue…

« Sam Szafran – 50 ans de peinture ». Commissaire d’exposition : Daniel Marchesseau. Du 8 mars au 16 juin 2013, Fondation Pierre Gianadda, rue du Forum 59, 1920 Martigny, Suisse.

(1) Entretiens avec Sam Szafran, Alain Veinstein, Flammarion, 26 euros, 200 p.