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Israël

Proche-Orient : la marge de manoeuvre américaine

Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a fait cette semaine une visite de trois jours au Moyen-Orient. Il prévoit de se rendre sur place régulièrement. Quelques jours auparavant, le 25 mars, Barack Obama avait prononcé un discours fort à Jérusalem. Y a-t-il un regain de mobilisation des Etats-Unis  à se mobiliser sur les relations entre Israéliens et Palestiniens ? Quelle est la latitude des Américains pour agir ? Comment leurs tentatives de médiation sont-elles aujourd’hui reçues des deux côtés ?

Nicole Bacharan, politologue franco-américaine, historienne et spécialiste de la société américaine, évoque pour l’Arche ces questions.

 

L’Arche: Quel bilan peut-on tirer de cette visite de John Kerry ?

Un bilan prudent. C’est un effort très réel, une étape préliminaire, pour essayer de ranimer des discussions. Il faut considérer que le processus de paix n’était même plus moribond mais mort et enterré. La visite d’Obama puis celle de Kerry tendent à lui redonner un souffle de vie. Le bilan n’est pas mauvais mais il faut rester très prudent, il y a une conscience claire et justifiée que les Etats-Unis n’ont pas les clés de cette affaire en main. Ils peuvent aider, soutenir, orienter, mais certainement pas faire à la place des premiers concernés.

On sent effectivement un désir de faire bouger les choses. Le discours d’Obama fin mars a eu un écho fort. Y a t-il une volonté de créer un nouvel élan ?

Oui c’est exactement ça. J’ai trouvé le discours d’Obama très bon, très pédagogique comme il sait le faire, et en même temps ne faisant mine à aucun moment de prendre des décisions dans un sens ou dans l’autre à la place des Israéliens ou à la place des Palestiniens. Dans le contexte totalement bouleversé du Proche-Orient, la position d’Israël, que je comprends, qui est de se refermer et de tourner le dos à une région aussi ingérable à l’heure actuelle, est une position qui n’est pas tenable à long terme. Donc il y a chez les Américains une volonté réelle de peser sur la transformation de la région et sur ce conflit en particulier d’une manière positive, alors que l’on craint beaucoup de développements très négatifs dans les pays qui entourent Israël.

Vous le disiez, le processus de paix était quasiment mort. Lors du premier mandat de Barack Obama, certains doutaient parfois que son engagement soit aussi fort que celui de ses prédécesseurs.

Je pense que la solidarité entre Israël et les Etats-Unis reste extrêmement forte. C’est certes une région dont les Américains pourraient s’éloigner un petit peu, et il est vrai qu’ils le font, parce que si, avec le gaz et le pétrole de schiste, ils deviennent un nouvel Arabie Saoudite, cela remet en jeu l’intérêt crucial qu’ils portent à cette partie du monde. Mais cette transition-là ne se fait pas du jour au lendemain, le désengagement américain peut être partiel et ne peut être que partiel. Au niveau des élus, des gouvernants, d’une bonne partie de la population, le sort d’Israël reste quelque chose de stratégiquement, géopolitiquement, mais aussi moralement et humainement central pour les Etats-Unis. Je ne trouve pas qu’Obama diffère de cela, de cet intérêt très profond à essayer d’aider à un avenir sécurisé pour Israël. Il y a aussi le fait que dans le Proche-Orient actuel, Israël est plus que jamais le seul allié fiable des Etats-Unis. L’Etat juif est à la fois un intérêt fondamental et un partenaire unique dans cette région qui se transforme d’une manière qui fait perdre pied aux Américains. Il faut comprendre que tout changement de régime au Proche-Orient représente une perte d’influence des Américains alors qu’ils ont par ailleurs le problème iranien à tenter de régler. Ils ne peuvent pas s’en désintéresser.

Qu’est-ce qui motive alors cette mobilisation nouvelle que l’on perçoit aujourd’hui ?

Je pense que les dernières élections ont amené Benjamin Netanyahu à une position un peu plus modeste, un profil un peu plus bas. Cela peut être jugé comme un moment favorable pour tenter de relancer les choses. Obama est dans un deuxième mandat, il est donc dégagé en politique étrangère d’enjeux strictement électoraux, il ne va pas chercher à se faire réélire, cela lui donne un peu plus de latitude. C’est aujourd’hui John Kerry qui remplace Hillary Clinton. Elle faisait je trouve du très bon travail, mais avec ce changement de personnalité pourquoi ne pas tenter à nouveau l’ouverture d’un dialogue, avec de nouveaux acteurs, qui peut-être seront plus disposés à avancer ? C’est le moment pour eux d’essayer de relancer les discussions.

Les relations entre Obama et Netanyahu n’ont jamais été simples jusqu’à présent, pour dire le moins. La communication peut-elle évoluer entre eux ?

Netanyahu a quand même lourdement joué la carte Mitt Romney, la carte Républicain contre Démocrate, alors que Barack Obama était déjà Président des Etats-Unis, c’était devenu compliqué. Ce ne sont pas des grands sentimentaux, ni l’un ni l’autre, ce qui est très bien en politique, ils l’ont bien fait comprendre, mais ils sont les deux élus à l’heure actuelle, ils vont travailler ensemble. Je pense que Netanyahu a très bien compris qu’il n’avait pas été très habile de mépriser la Maison Blanche. Je pense que cette ère là est terminée.

Sait-on comment le courant passe entre Netanyahu et John Kerry ?

Je n’y étais pas, j’aurais du mal à dire comment ils se sont entendus. John Kerry est quelqu’un de très nuancé, très diplomate…

Sur le dossier du Proche-Orient, il a déclaré : « il est plus important de bien faire que d’aller vite. » Cela va bien avec ce côté diplomate dont vous parlez. On se souvient d’ailleurs que c’était le visage qu’il montrait déjà quand il s’était présenté en 2004 à l’élection présidentielle américaine.

C’est vrai, il est connu pour cela. Cela avait joué contre lui à la présidentielle car ses discours étaient extrêmement compliqués, alambiqués, on avait du mal à en tirer une idée simple et forte, qui se communique facilement. Mais ce n’est pas forcément mal dans une région où il faut beaucoup parler pour parfois avancer d’un tout petit pas. En plus aller vite n’a pas de sens. On a tout essayé en 60 ans. Aller vite, aller fort, aller lentement, aller gentiment, aller brutalement… Là, quand il n’y a rien, être modeste me semble le plus réaliste et le plus atteignable. Ils ont besoin de progrès là-bas, et le progrès serait de montrer qu’on avance vers la possibilité de se retrouver autour d’une table.

Il est avant tout venu pour écouter les deux parties, il n’avait pas de plan de paix avec lui. Quelles vont donc être les suites ?

La Ligue arabe va envoyer une délégation de ministres des affaires étrangères arabes à Washington pour essayer de remettre en circuit l’initiative de paix de 2002, que les Israéliens ne peuvent absolument pas accepter telle quelle, dont les Palestiniens ont dit qu’ils ne voulaient rien y changer, et dont John Kerry a dit diplomatiquement que c’était « un élément de dialogue ». Il y aura donc cette visite, Kerry a également parlé d’initiatives en faveur de l’économie de la Cisjordanie, pour que les Palestiniens qui y sont situés ressentent un mieux réel, immédiat, dit-il, de l’implication américaine. Si l’économie se renforce, se développe, donne la perspective d’un Etat viable, même si l’affaire des frontières est loin d’être réglée, cela renforce la capacité des Palestiniens à être de vrais partenaires de négociations.  Netanyahu de l’autre côté a dit qu’il admettait tout à fait l’idée d’un Etat palestinien indépendant, qu’il était prêt à la discussion et désireux de régler réellement le conflit. Il y a donc un état d’esprit positif de chaque côté, des gens qui sont tout à fait ouverts à discuter avec John Kerry.

Mais a-t-il une marge d’action, de manoeuvre ? Car on sait que les exigences des deux côtés sont difficilement conciliables…

Moi je ne vois pas cette marge de manoeuvre, mais son travail est justement de la dégager, de la faire exister. On a vu que Barack Obama est également venu sans plan de paix, sans exigence que l’on arrête toute construction à Jerusalem-Est ou en Cisjordanie, en faisant appel aux citoyens Israéliens pour qu’ils fassent pression sur leurs dirigeants. Côté Israélien et Palestinien, on a des positions qui sont claires et incompatibles sur bien des choses. Ce qui peut rapprocher les deux parties, c’est l’usure extrême de ce conflit, les dangers de cette région qui les fragilisent terriblement des deux côtés. C’est la situation du Liban, la situation de la Syrie, l’Iran, c’est une grande inquiétude pour les Israéliens mais aussi pour les Palestiniens, ils n’ont aucune idée de ce qui va en sortir pour eux donc il y a peut-être à la fois la fatigue de cette impasse et l’inquiétude en partie commune qui peut les amener à ouvrir les grands points litigieux, c’est à dire les échanges de territoires, les frontières, Jérusalem, et évidemment la question du droit au retour qui est inenvisageable pour Israël et qui ne peut se régler qu’avec échange de territoires et indemnités. Pour l’instant cela est refusé par les Palestiniens mais cela peut bouger.