Il y a du psychologique, du politique, du tragique dans ce qui arrive au Grand Rabbin de France. J’en connais qui éprouvent de la « joie mauvaise », la joie face à un homme qui tombe. Je suis de ceux qui sont simplement tristes devant cette chute brutale.
Sur l’aspect psychologique, on sait peu de choses. Lui-même en sait-il davantage sur ce qui peut conduire un homme de cette envergure à chercher à se grandir davantage en s’affublant d’un titre qu’il n’a pas eu et en signant des textes empruntés à d’autres ? Qui pouvait deviner que derrière la posture morale, le panache intellectuel, se cachaient des failles intimes, des blessures que la gloire, le mérite et la reconnaissance ne sont pas parvenues à vaincre ? Loin de les atténuer, peut-être n’ont-ils fait que les exacerber.
Sur l’aspect politique, je ne veux pas gratter des plaies ni surligner une dimension qui n’a échappé à personne même si personne n’en parle, mais à quoi servirait-il de nier qu’il s’était mis en danger sur un sujet qui agite profondément la société française ? Il a pris des positions courageuses, en s’entourant de précautions, en présentant son texte comme le fruit de réflexions plus que de certitudes, en affirmant qu’il n’appelait pas à manifester, ni même à prêcher pour quiconque. Ah ! Que de torts lui aura fait le pape précédent en le mettant en avant quand il a cherché seulement et à sa place, à adresser une alerte, à dire sa conviction et à « donner à penser » selon l’expression qu’il a forgée, dont personne n’a jamais compris au juste ce qu’elle signifiait, mais qui prenait là, tout d’un coup, valeur d’illustration.
Non, n’en déplaise à ses détracteurs qui ont trouvé là moyen de se joindre à la meute, il n’a jamais appelé à la haine ni à l’homophobie. Ceux qui connaissent son parcours de rabbin, d’éducateur et de conférencier, savent qu’il a, au contraire, été toujours du côté de ceux qui tendaient la main.
Reste l’aspect tragique. Cette espèce de machine infernale qui se déclenche un matin et qui fait trembler tous les repères autour de vous. On songe à « La tâche », le roman de Philippe Roth, avec cet échange entre Œdipe et Créon, dans la pièce de Sophocle, qui figure en exergue du livre. Œdipe : « Quel est le rite de la purification ? Comment l’accomplir ? » Et Créon répond : « En bannissant un homme, ou par l’expiation du sang par le sang ».
A la veille de sa retraite, un professeur de lettres classiques à l’université d’Athéna, est accusé d’avoir tenu des propos racistes envers ses étudiants. Il a fait l’appel en classe en se demandant pour quelle raison telle et telle étaient absentes. Etait-ce des « zombies ? ». Dans l’atmosphère politiquement correcte de la fin des années 90, cela a suffi pour l’acculer à la démission. Toute sa vie est déballée et livrée en pâture, et on découvre tout un tas de secrets qu’il préfère taire mais qui auraient pu l’innocenter.
Le tragique, c’est l’inéluctable. Et qui peut dire aujourd’hui qu’une autre issue était possible, dès lors que le Grand rabbin reconnaissait les plagiats et avouait avoir menti sur son agrégation ?
La démission était fatale. Mais elle est triste. Elle est malheureuse. La peine est trop lourde. Le couperet est cruel. La sanction est sévère. Gilles Bernheim méritait mieux que de finir son parcours de cette façon-là.