C’est hors compétition qu’a été projeté ce dimanche 19 mai le nouveau film de Claude Lanzmann. Ce documentaire de 3h30 présente sous un autre jour la mise en œuvre de la solution finale pendant la Seconde Guerre mondiale à travers un unique témoignage, celui de Benjamin Murmelstein. Le réalisateur de Shoah avait interviewé en 1975 le « doyen des Juifs » de Terezin, selon la terminologie nazie, afin qu’il raconte l’histoire de ce ghetto différent des autres dans les environs de Prague. Créé en 1941 pour être un « ghetto modèle », une « ville donnée au Juifs par Hitler », cette vitrine était sensée prouver au monde le bon traitement que le régime nazi réservait aux Juifs, en accueillant notamment des observateurs de la Croix Rouge internationale.
Dans ce film, le témoignage de Murmelstein est entrecoupé d’images de propagande mettant en scène des enfants joyeux ou des personnes âgées dans une maison de retraite idyllique, mais aussi des dessins de détenus qui reflètent une réalité bien plus dramatique. Terezin incarne en effet le « sommet de la cruauté et de la perversité nazie », déclare Claude Lanzmann qui entend prouver à travers ce film « une combinaison unique de mensonge et de violence nue ». Dans ce ghetto, véritable antichambre des camps d’extermination, plus de 150 000 hommes, femmes et enfants furent entassés, et beaucoup moururent sur place des conditions de vie épouvantables qui leur étaient imposées.
Le dernier des injustes éclaire également un autre pan de l’histoire de la Shoah, un point méconnu et sujet à polémique : les conseils juifs, organes mis en place pour faire régner l’ordre allemand dans les ghettos. Benjamin Murmelstein fut l’un de ces hommes qui durent accepter cette fonction. Dès 1938 il fut chargé par Eichmann d’organiser l’émigration des Juifs de Vienne (il luttera d’ailleurs pied à pied contre lui pour en faire sortir plus de 121 000) et conserva ce rôle de chef communautaire à Terezin. Une expérience douloureuse qu’il raconta dans un livre où il dévoile les luttes de pouvoir dans le ghetto et ses « premiers ennemis » parmi les prisonniers pour des questions sanitaires. « Les gens étaient des martyrs, pas des saints », écrit-il, confessant aussi son « goût du pouvoir » et son « désir d’aventures ». Accusé de collaboration avec l’ennemi par un certain nombre de Juifs à la libération, il fut arrêté en 1945 et emprisonné par la justice tchèque pendant un an et demi avant d’être acquitté.
Pour beaucoup, son seul tort fut d’avoir été le seul « doyen des Juifs » de ce ghetto emblématique à avoir survécu ; ses deux prédécesseurs ayant été tués d’une balle dans la nuque, l’un à Terezin, l’autre à Auschwitz.
C’est à Rome, où il s’était exilé, qu’il mourut en octobre 1989.