Parmi les 20 portraits présents dans notre Hors Série, celui de Rachel, la grande comédienne et inspiratrice de Sarah Bernhardt. L’auteur Agnès Akérib et les comédiens Sarah Vernette et Fabrice Delorme lui rendent un étonnant hommage avec une série de lectures-spectacles. Rencontre avec Agnès Akérib.
L’Arche : D’où vous est venue l’idée de partager l’œuvre de Rachel ?
Agnès Akérib : Les éditions Triartis, qui publient des ouvrages pour le Festival de la Correspondance à Grignan, m’ont demandé un sujet sur le théâtre, la thématique de l’année. Au cours de mes recherches sur les lettres féminines écrites au XIXe siècle, j’ai découvert avec bonheur que l’une de nos plus grandes comédiennes, Mademoiselle Rachel, était aussi une remarquable épistolière. Tout en me référant aux sources sûres, à son propre courrier manuscrit que détient la bibliothèque de la Comédie Française, aux écrits des journalistes, poètes et dramaturges qu’elle a fréquentés, aux études sérieuses de Sylvie Chevalier, j’ai fait à la fois un montage et une adaptation pour les besoins de la mise en scène. Ce n’est pas de l’invention c’est du sertissage ! La personnalité de Mademoiselle Rachel est si riche que j’aurais voulu tout traduire d’elle. Mais à Grignan, fief de la correspondance théâtrale, on ne peut dépasser le temps imparti. La première représentation a eu lieu dans les jardins ensoleillés de juillet, avec cinq comédiens jouant les différents amis et proches de Rachel, devant un parterre conquis.
Comment est-elle perçue dans le monde du théâtre aujourd’hui ?
Il faudrait le demander aux sociétaires de la Comédie Française ! Je peux seulement vous assurer que, de représentation en représentation sous la forme des lectures-spectacles que nous avons multiplié, Rachel se révèle d’une grande modernité. Le texte se joue avec deux talentueux comédiens, Sarah Vernette et Fabrice Delorme, qui adorent se glisser dans leur rôle.
Quelles sont les réactions qui vous surprennent le plus de la part des spectateurs ?
Ceux qui connaissent les portraits de notre grande comédienne sont ébahis par la ressemblance qui existe entre les deux jeunes femmes à plus d’un siècle et demi de distance. Rachel paraît se réincarner en Sarah ! Le même regard intense, le même sourire, la même grâce. Et puis ce qui me fait plaisir c’est de voir l’intérêt du public pour ce personnage hors du commun, Elle a porté à son plus haut niveau la tragédie classique. Porté aussi, dit-elle, son nom aussi loin qu’elle l’a pu, dans toute la France, dans toute l’Europe, et de Saint-Pétersbourg à New York. Les spectateurs se disent : nous connaissions Sarah Bernhardt, nous découvrons Mademoiselle Rachel tout aussi passionnante. Ils apprennent qu’à partir des années 1830 la mode était au drame, avec Musset, Hugo ou Dumas. Notre Comédie Française qui s’appelait alors le Théâtre Français ne faisait plus recette. Les classiques se retrouvaient à la trappe ! En voulant interpréter Phèdre de Racine dès son entrée à 17 ans au Français, en s’acharnant à jouer tout le répertoire classique, Rachel a redonné son lustre à nos plus grands écrivains classiques ainsi qu’à la Maison de Molière qui en avait bien besoin.
Comment réussit-on à faire revivre un tel talent ?
Nous n’avons pas de documents sonores ou visuels de la voix et du jeu en scène de Rachel. Mais nous possédons tous les témoignages si « parlants » de ses contemporains. Nous pouvons aisément nous figurer ce que fut la carrière de cette « star » qui, le temps de sa courte vie, à peine trente-sept ans, fut adulée et fêtée telle une souveraine, comme elle le relate à sa mère : « non pas une souveraine postiche de tragédie avec une couronne en carton dorée, mais une souveraine pour de vrai, contrôlée à la Monnaie ». Ses lettres sont d’un modernisme inouï, écrites d’une plume alerte, tour à tour moqueuse ou tendre. Elle possède une conscience aigue du temps qui passe, du provisoire, du paraître, de l’éphémère. Elle qui recherche les applaudissements car c’est sa vie, son gagne-pain, va peu à peu se tuer à la tâche afin d’assurer l’avenir de ses deux fils. A l’un de ses biographes, elle se décrit avec humour : « … je vous en écris long mais pas fière, malgré que jamais tant d’empereurs, de rois, de princes et princesses n’aient parlé à une seule et même personne comme on l’a fait à votre tragédienne en tournée d’inspection de majestés ».
Avez-vous une anecdote amusante et peu connue à nous donner de Rachel ?
Sollicitée, courtisée, au sommet de sa gloire, elle est habituée aux hommages appuyés des messieurs, mais entend rester libre. Une femme d’aujourd’hui ! En 1844, amoureuse du fils naturel que Napoléon Ier a eu avec la princesse polonaise Walewska, elle donne le jour à son fils Alexandre. Et voici ce qu’elle écrit en substance à sa sœur Sarah : « Du haut de son premier mois, ton neveu se porte fort bien, et le comte Walewski qu’il a pour père, un peu moins. Il a l’humeur noir foncé. Son caractère jaloux et chagrin vient de ce qu’il renonce à comprendre que je veux bien des locataires, non des propriétaires ».
Quels sont vos projets la concernant ?
Si je peux contribuer à faire découvrir ou redécouvrir Rachel, cela me comblerait de joie. Je voudrais que l’on sache son universalité, son respect pour toute forme de croyance, sa modernité. Pour preuve, Sarah Bernhard qui lui vouait une sorte de culte, cherchant à jouer une Phèdre qui pourrait la surpasser, a inventé l’extravagance des actrices hollywoodiennes. Rachel à son tour aurait pu être une Audrey Hepburn moderne pour l’élégance, le « chic » parisien, ou encore une Lauren Bacall envoutante et séductrice. Curieuse de tout, grande lectrice, elle aurait sûrement aimé le cinéma, notre époque qui l’aurait sauvée de la phtisie ; elle aurait peut-être même écrit des mails. Ses lettres de papier nous rassurent, elles ne seront jamais oubliées. Laissez-moi vous offrir sa devise qui la dépeint si bien : « J’aime qu’on m’aime comme j’aime quand j’aime ».