Les négociations israélo-palestiniennes se poursuivent sous le signe du scepticisme.
Après une interruption longue de près de trois ans, les négociations israélo-palestiniennes ont donc repris, fin juillet dernier. L’aboutissement d’une très intense campagne menée par le secrétaire d’État américain, John Kerry : sans les pressions, et aussi les promesses, venues de Washington, tout porte à croire qu’Israéliens et Palestiniens auraient continué de bouder la table des négociations. Reste à savoir pour quelles raisons John Kerry a réussi là où Hillary Clinton, avait échoué. On a évoqué l’intensité de l’engagement personnel du chef de la diplomatie américaine, et, sans aucun doute, le dossier israélo-palestinien lui tient à coeur, bien davantage qu’au président Obama. Kerry est tout à la fois proche d’Israël et convaincu que l’établissement d’un État palestinien à ses cotés est indispensable à sa survie comme État juif et démocratique. Mais au-delà des convictions et du degré d’engagement personnel du secrétaire d’État, il était essentiel pour l’administration américaine de marquer des points dans une région où le manque de lisibilité de sa politique, de l’Égypte à la Syrie en passant par le nucléaire iranien, risquait d’éroder inexorablement le statut et l’influence des États-Unis, au profit d’autres puissances qu’elles soient régionales et internationales.
Washington a donc fait usage d’arguments de poids auprès de Ramallah et de Jérusalem. Côté palestinien, il a été surtout question de projets d’assistance économique, une perspective que l’Autorité palestinienne, dont la situation financière est loin d’être stabilisée, ne pouvait se permettre de négliger. Il a été moins difficile, semble-t-il de convaincre les dirigeants israéliens : Benyamin Netanyahou est en effet depuis longtemps persuadé que l’ouverture de négociations de paix avec les Palestiniens ne peut que bénéficier à Israël, dans un contexte où les menaces d’isolement international se font de plus en plus pressantes. Il est vrai qu’officiellement à Jérusalem on a fait peu de cas des projets européens de boycott de toute société ou institution israélienne ayant des intérêts dans les territoires conquis en 1967, qu’ils aient été annexés (plateau du Golan, Jérusalem-est) ou non (Cisjordanie).
Il n’en reste pas moins que reprendre les négociations constituait un remède efficace contre d’éventuelles mesures de rétorsions économiques venues d’Europe, qu’elles soient d’initiative publique ou privée. Toutefois, Israël a dû payer un prix, et pas des moindres : l’engagement de libérer 126 prisonniers palestiniens, dont de nombreux terroristes, responsables de la mort de plusieurs dizaines d’Israéliens, souvent civils. L’une des trois conditions imposées par la direction palestinienne à la reprise des négociations, la libération de tous les Palestiniens emprisonnés avant les accords d’Oslo, a donc été remplie ; l’une des trois seulement, a-t-on répété à l’envi dans l’entourage du premier ministre israélien. Et de fait, Israël ne s’est pas engagé à ce que les pourparlers sur les frontières de l’État palestinien fassent référence aux lignes d’avant juin 1967.
Échange de territoires
L’exigence d’un gel total des constructions dans les implantations et à Jérusalem-est, longtemps présentée comme une condition sine qua non par les Palestiniens, est elle aussi restée lettre morte. Il n’est pas impossible toutefois que Benyamin Netanyahou se soit discrètement engagé, auprès des Américains, à éviter d’autoriser des projets immobiliers d’envergure en Cisjordanie en dehors des grands blocs d’implantations, dont le rattachement à Israël est prévu par toutes les ébauches d’accords de paix élaborées au cours de ces dernières années, suivant le principe d’échange de territoires. Un engagement public à une période de gel des constructions, à l’image de celle qui avait duré dix mois en 2010, aurait à coup sûr provoqué la fin de l’actuelle coalition gouvernementale israélienne. Le Parti sioniste religieux du Foyer juif, très proche du mouvement des implantations, a assuré que dans un tel cas de figure il rejoindrait aussitôt les rangs de l’opposition.
La presse israélienne s’est d’ailleurs fait l’écho de rumeurs persistantes selon lesquelles Benyamin Netanyahou aurait présenté au ministre Naftali Bennet, le leader du Foyer juif, l’alternative suivante : accepter la libération de 126 détenus palestiniens ou avaler une couleuvre semble-t-il plus indigeste encore de son point de vue, le gel de tout projet immobilier dans les territoires de Cisjordanie et à Jérusalem-est. Si elle s’avère exacte, cette anecdote montre à quel point le chef du gouvernement israélien était déterminé à payer un prix élevé pour reprendre les pourparlers avec les Palestiniens, pour les raisons évoquées plus haut. Mais elle rappelle aussi à quel point Benyamin Netanyahou doit composer avec une coalition qui ne lui laissera qu’une marge de manoeuvre très étroite s’il décide, renonçant à ses fondamentaux idéologiques, de consentir à d’importantes concessions territoriales.
Un éventuel départ du Foyer juif pourrait être compensé par l’arrivée au gouvernement du Parti travailliste, mais ce changement de la composition de la coalition impliquerait une inflexion de sa politique économique. On voit mal Benyamin Netanyahou et son ministre des finances Yaïr Lapid renoncer à leur credo de rigueur budgétaire. Qui plus est, le Foyer juif n’est pas la seule composante de la coalition opposée au principe des « territoires contre la paix ». C’est également le cas de la formation dirigée par Avigdor Lieberman et du propre parti du premier ministre, le Likoud, radicalisé par le départ de ses cadres les plus modérés et par l’avènement d’une jeune génération d’élus plus à droite que les précédentes. Si bien qu’il ne se trouve que deux responsables du Likoud à parler ouvertement d’un État palestinien aux côtés d’Israël : Benyamin Netanyahou lui-même et l’un de ses proches, le ministre Youval Steinitz.
C’est dans ce contexte que le numéro un israélien a avancé l’idée d’un référendum : tout accord de paix conclu avec les Palestiniens et impliquant des retraits territoriaux sera soumis à l’approbation directe du peuple. Une démarche inédite dans la démocratie parlementaire qu’est Israël, et qui a divisé la classe politique. À droite, où elle a trouvé son plus fort soutien en la personne de Naftali Bennet, chef de file du Foyer juif, elle a été bien accueillie, exception faite, et elle est de taille, d’Avigdor Lieberman et de son parti.
Au centre, Yaïr Lapid a finalement approuvé, mais Tsipi Livni, ministre de la justice et chargée de mener les négociations, n’a pas caché son opposition. Fuite devant les responsabilités et moyen commode de tergiverser pour les uns, volonté sincère et légitime de court-circuiter l’aile droite du gouvernement et de faire sanctionner par la volonté du peuple un éventuel accord dont certaines clauses ne pourront qu’être douloureuses pour les autres. L’initiative du référendum a en tout cas fait son chemin, puisqu’elle a été adoptée par Mahmoud Abbas.
Le président de l’Autorité Palestinienne a même précisé qu’il sera étendu à tous les Palestiniens de la Diaspora, donc aux réfugiés et à leurs descendants. De quoi renforcer le camp, déjà largement majoritaire, des sceptiques. Sondage après sondage, la tendance se confirme en effet, et elle indique qu’une faible minorité d’Israéliens croient aux chances de succès des pourparlers. L’état d’esprit semble similaire parmi les Palestiniens. « Le maximum que le gouvernement israélien pourrait concéder ne correspond pas au minimum de ce que les dirigeants palestiniens pourraient accepter », répètent à l’envi les commentateurs, et les deux peuples en sont persuadés. Il faut dire que les précédents n’incitent guère à l’optimisme, car l’on imagine mal que Benyamin Netanyahou puisse proposer à Mahmoud Abbas des concessions aussi importantes que celles consenties par son prédécesseur Ehoud Olmert en 2009, avec le peu de succès que l’on sait. Le scepticisme des Israéliens n’est donc pas le monopole des opposants traditionnels aux concessions territoriales et des partisans du mouvement des implantations. Il est aussi, dans une large mesure, partagé par les partisans de toujours de la solution « des deux États ».
Scepticisme donc, mais aussi indifférence, et les deux phénomènes se renforcent mutuellement. Ce que l’on appelle le « camp de la paix » est moribond depuis de nombreuses années, et la gauche sioniste n’est pas parvenue à convaincre la majorité des Israéliens des difficultés morales et des dangers démographiques liés selon elle à la mainmise israélienne sur les territoires de Cisjordanie. De fait, le retour à la table des négociations est intervenu dans un contexte où la question palestinienne était quasi absente du débat public : l’un des effets sans doute de la période de calme relatif qui règne sur le plan sécuritaire depuis la fin de la seconde Intifada. La dernière campagne électorale a donné une illustration supplémentaire de cette indifférence, et les formations insistant sur la nécessité de relancer le processus de paix, à l’instar de celle dirigée par Tsipi Livni, n’ont obtenu que de médiocres résultats. Ni Benyamin Netanyahou ni Mahmoud Abbas ne sont donc portés par des opinions publiques désireuses de faire avancer une solution négociée, ce qui naturellement augure mal d’une issue positive.
Climat de défiance
D’autant plus que les premières séances de négociations se sont déroulées dans un évident climat de défiance : si l’on a pu parler d’une atmosphère positive’ et constructive entre les négociateurs eux-mêmes – Livni et l’avocat Yitshak Molcho, un proche de Netanyahou, côté israélien, Saeb Erekat essentiellement côté palestinien–, au niveau des responsables politiques les accusations mutuelles n’ont pas tardé à fuser.
Dernier exemple en date avec les « fuites » relatives au contenu des séances de pourparlers : les médias ont fait état du « piétinement » des discussions, alors que rien ne devait en principe en filtrer… Par la suite, la presse a rapporté que les Israéliens auraient proposé l’établissement d’un État palestinien doté de frontières temporaires, ce qu’auraient bien évidemment rejeté les négociateurs de Ramallah. Autant d’informations formellement démenties par les Israéliens, qui reprochaient aux Palestiniens tout à la fois d’être à l’origine des fuites et de transmettre aux médias des contre-vérités sur le contenu des pourparlers. Populations indifférentes et sceptiques, responsables suspicieux : le processus de négociations israélo-palestiniennes n’a décidément pas été relancé sous les meilleurs auspices.
Cependant, plusieurs facteurs pourraient créer la surprise, le premier d’entre eux étant la détermination américaine. Si l’administration Obama considère que la stabilisation du Moyen-Orient passe, ne serait-ce qu’en partie, par la résolution du conflit israélo-palestinien, si elle entend réaffirmer sa présence dans une région ou sa valse-hésitation dans les dossiers égyptiens, puis, plus récemment, syriens lui a coûté en crédibilité et en influence, elle est à même de peser de tout son poids pour obtenir une percée. On parle d’ailleurs déjà d’un plan de paix américain qui pourrait être présenté aux deux parties en présence une fois écoulés les neuf mois impartis aux négociations ; celle des deux qui refusera ouvertement cette « pax americana » risque gros. Car, à Jérusalem tant qu’à Ramallah, on a compris qu’il fallait surtout éviter d’apparaître, aux yeux des opinions et des dirigeants occidentaux comme celui qui refuse la paix.
Une autre hypothèse pouvant démentir les sceptiques concerne la personnalité des dirigeants. Malgré sa faiblesse politique, relativisée par celle du Hamas qui après s’être éloigné de ses mentors iraniens et syriens, a vu son isolement renforcé par le renversement des Frères musulmans en Égypte, Mahmoud Abbas serait capable et sincèrement désireux, affirment certains, peu nombreux, de mettre un terme au conflit. Concernant Benyamin Netanyahou, quelques observateurs, eux aussi minoritaires, sont persuadés que le premier ministre israélien est prêt à « franchir le Rubicon », à renoncer à son idéologie du « Grand Israël ». Son pragmatisme, sa conscience de la situation délicate d’Israël dans les opinions publiques occidentales, auraient expliqué ce revirement, encore tenu secret.
Mais c’est avant tout le dossier du nucléaire iranien qui l’aurait incité à changer son fusil d’épaule, Benyamin Netanyahou sachant parfaitement que sans l’aide des États-Unis, une attaque israélienne contre les sites nucléaires de l’Iran serait des plus hasardeuses. Et s’il faut renoncer à tout ou partie de la Judée-Samarie pour avoir le soutien de la plus grande puissance mondiale, le calcul, du point de vue du chef du gouvernement, est vite effectué. Si cette hypothèse en arrivait à se confirmer, Benyamin Netanyahou pourrait être entraîné à accepter l’éventuel plan de paix américain, à le soumettre à un référendum, et éventuellement à se séparer d’un Likoud majoritairement campé sur ses fondamentaux idéologiques pour établir, avec quelques cadres pragmatiques, une nouvelle formation de centre-droit.
Le revirement de Netanyahou
Un scénario qui doit cependant tenir compte de deux autres inconnues. Premièrement, l’attitude de Mahmoud Abbas et des dirigeants palestiniens, qui pourraient renoncer, malgré les pressions américaines, à accepter un accord qui impliquerait des concessions difficilement acceptables pour la plus grande part de leur peuple, concernant notamment les réfugiés. L’autre inconnue concerne les États-Unis. S’il est encore trop tôt pour établir si l’administration Obama peut s’estimer ou non renforcée par l’affaire des armes chimiques syriennes, son comportement a prouvé une fois de plus sa réticence à faire usage de la force dans des conflits qu’elle estime ne pas la concerner directement. Ce qui est de nature à convaincre les Israéliens qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes face à la menace du nucléaire iranien. D’un autre coté l’épisode syrien a montré que Washington n’avait pas totalement perdu de ses capacités dissuasives. Selon que l’on adhère à l’une ou l’autre de ces deux interprétations diamétralement opposées de l’attitude des États-Unis face à la tragédie syrienne, on aura un avis sensiblement différent sur le sort de ce nouveau round de négociations israélo-palestiniennes.