On se demande parfois quelle est la fonction réelle d’un parrain de la Tsedaka. Est-ce pour apporter une touche de célébrité, un ruban rouge ou des semelles foulant les tapis rouges ? Certainement pas. La reconnaissance d’un public est secondaire à la volonté de connaissance des réalités. Cette année, peut-être plus que toutes les autres, les parrains possèdent cette pâte humaine, cet enthousiasme et partagent cette richesse dont nous sommes tous limités : le temps. Le temps de rencontrer les gens qui souffrent et ceux qui s’en occupent, de comprendre les besoins et d’aider à anticiper ce qui permet d’y répondre. Mathilda May, Steve Suissa et Francis Huster sont les trois parrains de cette année. Rencontre avec deux d’entre eux.
Francis Huster : Depuis des millénaires, le peuple juif se tient debout. Tout a été fait pour le massacrer, pour l’éliminer, pour le gommer. Pour quelle raison le peuple juif a été depuis Moïse un peuple de chemin, de lumière, de science, de culture, comme tous les autres peuples ? La qualité première du peuple juif, c’est sa générosité. Si le peuple juif n’avait pas été généreux, il aurait disparu, comme d’autres peuples ont disparu. Tant que le peuple juif restera généreux à travers le monde, que dans n’importe quel endroit du monde on se dira qu’un juif fait preuve de générosité, ce peuple restera debout. On se trompe souvent sur ce qu’est un juif. On pense qu’il s’agit de quelqu’un uniquement tourné vers le passé.
Steve Suissa : Le texte d’Anne Frank, qu’on a fait l’année dernière, a été adapté par Eric-Emmanuel Schmidt, qui n’est pas juif. La Fondation Anne Frank lui avait demandé de trouver une pièce de théâtre qui pourrait être à la fois fidèle au Journal et présenter quelque chose de nouveau, afin de continuer à partager cette histoire. Il a trouvé un axe formidable : un père qui aime tellement sa fille que même lorsqu’elle disparait, avec ce journal, il continue à être avec elle. Francis a voulu jouer ça envers et contre tout. Comme Otto Frank, il a deux filles. Comme Otto Frank, ses parents ont été déportés et sont morts dans les camps de concentration. Huit théâtres parisiens ont refusé cette pièce, malgré la notoriété de Francis. On est arrivé à monter cette pièce, qui a été un énorme succès, puisqu’elle a été jouée 207 fois. A l’intérieur de cette distribution, afin de ne pas aller dans les clichés et de rester ouvert et trouver des acteurs qui seraient bons dans les rôles et non pour faire plaisir à certains, j’ai pris sept autres acteurs qui ne sont pas juifs. On s’aperçoit que lorsqu’ils sont confrontés à des personnages aussi généreux, dans le don de soi, dans la dignité, ils s’attachent à cette culture, à ce peuple. Ne pas oublier d’où on vient, où veut aller, cela donne une force. Même si des fois on a le sentiment d’être animé d’une souffrance pour des événements que nous n’avons pas connus. Anne Frank nous a encore plus rapproché qu’on ne l’est déjà, puisqu’on est deux frères et qu’il a été mon parrain de théâtre quand je travaillais dans la boucherie cachère de mon grand-père. J’ai tourné un film sur la vie de Victor Young Perez qui va sortir le 20 novembre et sur lequel j’ai ressenti des émotions similaires. On est allé tourner à Tel Aviv avec Brahim Asloum, cette histoire extraordinaire qui a commencée en Tunisie dans les années 20. On s’est retrouvé à faire un kiddouch de shabbat avec 60 personnes qui ne sont pas juives et Brahim Asloum qui se met à pleurer ! A chaque fois qu’on veut s’éloigner de ça, le destin nous rattrape…
La première fois que j’ai vu Francis Huster, ce n’était ni au cinéma ni au théâtre. A dix ans, j’étais loin de pouvoir approcher et apprécier son œuvre. C’était lors d’une émission consacrée à la mort de Louis Funès. Aussi loin qu’ils puissent être dans leurs choix artistiques, Huster n’hésita pas à se montrer virulent face à tous ces critiques qui dézinguaient avec joie Louis de Funès à chaque sortie de film, qui lui reprochaient ses mimiques et son physique. Huster savait reconnaitre et apprécier le talent de son aîné qui fédéra tant de rires dans les salles. Car comme l’a dit Desproges, elle est immense la prétention de faire rire. De Funès, artiste, médicament contre la sinistrose… Huster est un homme de nombreux combats. Pas de ceux qui mettent leurs engagements en scène, mais qui relèvent des valeurs, des qualités malmenées. Steve Suissa, expliqua lors de la conférence de presse que son camarade de promo de Tsédaka avait été auparavant son professeur au cours Florent. Un enseignant qui donnait gratuitement de son temps pour aider à former les futures générations. Et qui n’hésite pas à soutenir matériellement ceux qui tardent à se hisser en haut de l’affiche mais qui y consacrent leur cœur.
Steve Suissa : Si mon énergie fait que les gens aient envie de donner, je suis heureux de servir à cela. En tout cas, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. Chacun donne différemment, de façon officieuse. Etre entouré d’une équipe, d’une énergie, visiter les associations où l’on rencontre des gens qui ont changé de vie pour aider les autres, cela prête à une émotion et à une envie de participer. La force du peuple juif est d’être solidaire. Je crois que c’est grâce à ça que ce peuple existe et continuera d’exister. Si nos actualités, nos énergies, le métier qu’on fait peut tout à coup susciter une envie d’agir, tant mieux.
L’envol (2000), le premier film de Steve Suissa, est une œuvre autobiographique. On y voit Suissa, interprété par Clément Sibony, qui comme l’immense James Caan fuit la boucherie cachère du paternel pour s’adonner à la scène. Francis Huster y joue son propre rôle de professeur exigeant. Car cette prétention de faire avancer le monde par l’art et la captation des choses, rendues sur une toile, une partition ou une scène est des plus élevées. Et les sacrifices, de travail, de justification auprès de sa famille, d’attente auprès de la longue liste de prétendants peut s’avérer décourageant.
Steve Suissa : Je viens d’une famille très modeste. Avec un grand-père maternel qui s’est fait tout seul et qui comme on dit a réussi sa vie et a réussi dans la vie. Et un père tout aussi courageux et issu d’un milieu encore plus modeste. J’ai connu la peur du manque. Je pesais vingt kilos de plus parce que je pensais que chaque repas pouvait être mon dernier. Toute ma vie on m’a dit qua ma main droite devait mettre trois pièces dans une boite. Toute ma vie je l’ai fait. Aujourd’hui je suis parrain de plusieurs lieux dont une école d’autistes rue de la Roquette. Il y a une chose que je me suis promis, c’est que la montée du succès devait m’encourager à lutter de plus belle contre la pauvreté.
La nouvelle campagne nationale pour la Tsédaka commence avec une détermination claire de ses trois parrains. Visites des associations, participation à de nombreux événements, dans l’espoir de créer un élan, un envol, des plus nécessaires. Surtout en tant de crise et d’incertitude.
