Rencontre avec Frank Jaoui, vice président du World Congress of GLBT Jews et porte-parole du Beit Haverim (groupe juif gay et lesbien) à l’occasion de la table ronde organisée le 14 novembre 2013 au Centre Communautaire de Paris sur le thème : « Femmes, gays et lesbiennes : la Loi Juive est-elle discriminante ? »
L’occupation de l’espace religieux par des groupes que l’on n’a finalement pas l’habitude de voir au sein de cet espace est plus que jamais d’actualité. Je pense notamment au premier mariage gay célébré il y a quelques mois dans la Grande Synagogue de Stockholm ou encore aux « femmes du mur » dont on a entendu parler cet été suite à leur violente prise à partie alors qu’elles tentaient d’accéder au Kotel. Ces phénomènes expriment-ils selon vous une volonté de s’affirmer dans l’espace « sacré » ?
Davantage qu’un besoin de s’affirmer, ils s’inscrivent selon moi dans une volonté de ces populations, en l’occurrence, les homosexuels et les femmes, de concilier plusieurs facettes de leur identité qui jusqu’à récemment étaient considérées comme incompatibles. Longtemps en effet, l’interprétation littérale des textes, sans équivoque en ce qui concerne l’acte sexuel entre deux hommes, a prévalue. Des passages comme « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme » (Lévitique 18:22) ou encore « L’homme qui couche avec un homme comme on couche avec une femme : c’est une abomination qu’ils ont tous deux commise, ils devront mourir, leur sang retombera sur eux » (Lévitique 20:13) rendaient difficile sinon impossible cette réconciliation. Je précise que le texte est beaucoup moins explicite sur les lesbiennes.
Qu’est ce qui permet cette réconciliation aujourd’hui ?
La multiplication des courants religieux d’une part et une lecture plus contextuelle ou historiciste de ces passages d’autre part. Chez les orthodoxes modernes comme chez les libéraux ou les massortis, on a repensé ces versets dans leur contexte, c’est-à-dire celui des viols commis en temps de guerre et qui n’ont donc rien à voir avec une relation entre adultes consentants. Cette mise en perspective a permis l’émergence d’interprétations plus modérées. On est passé en quelques décennies d’un véritable non-dit et d’un discours qui niait l’existence même de l’homosexualité à une certaine tolérance puis un discours plus pragmatique, que ce soit au sein des institutions juives mais aussi des familles. Les gays et lesbiennes sont aujourd’hui moins souvent rejetés qu’auparavant et on peut s’en réjouir.
Le débat récent sur « le Mariage pour Tous » a-t–il eu un impact sur cette évolution ?
Incontestablement. Martine Gross, chercheuse au CNRS et auteure de nombreux ouvrages sur l’homosexualité et l’homoparentalité étudie d’ailleurs cette transition. Nous verrons qu’après le Pacs, c’est aujourd’hui la question du mariage et celle des enfants qui bousculent les mentalités.
Certains rabbins ont toutefois pris ouvertement position contre la loi.
Oui et c’est étonnant s’agissant du mariage civil. Il est vrai que la loi française concerne aussi la transmission aux enfants, valeur directement associée à la religion. Celle-ci voit peut-être son domaine de prérogative discuté. C’est je pense ce qui a poussé certains représentants communautaires à s’exprimer pendant le débat parlementaire.
L’éthique est aussi souvent mise en avant, surtout concernant la GPA que beaucoup considère comme « l’étape d’après »?
Certainement. Et c’est une question sur laquelle il sera intéressant d’avoir le regard de Haïm Nisenbaum, vice-président du Consistoire de Paris et porte-parole du Beth Loubavitch. Je précise que le débat qui entoure la GPA existe au sein même des associations qui militent en faveur du mariage, pour des raisons qui relèvent de l’exploitation qui serait faite du corps des femmes.
Les femmes sont d’ailleurs au cœur de la question de la discrimination posée par le Beit Haverim .
Effectivement. De nombreux spécialistes dont Liliane Vana, professeure en droit talmudique, s’accordent aujourd’hui à dire que la Loi juive prise textuellement n’interdit aucunement le contact direct au texte. Il existe désormais en Israël et aux Etats-Unis des femmes rabbins orthodoxes. Il y a aussi le problème douloureux des agunot, ces femmes qui ne se voient pas accorder le divorce religieux, dossier épineux du judaïsme contemporain…
Le Beit Haverim a également convié à la table ronde René Pfertzel, de formation libérale, qui sera le premier rabbin gay francophone. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?
Ce que nous attendons, c’est un réel débat. Il ne s’agit pas ici de se faire plaisir mais de poser de vraies questions et de confronter nos idées. Je ne sais pas ce que vont être les réponses de chacun sur ces thèmes mais ce dont je suis à peu près certain, c’est qu’elles ne seront pas les mêmes.
Intevenants : Liliane Vana, Martine Gross, Haïm Nisenbaum et René Pfertzel
Introduction par Raphy Marciano et conclusion par Guy Rozanowicz
Jeudi 14 novembre 2013 à 19h30 dans l’auditorium du Centre Communautaire de Paris, 119 rue Lafayette 75010 Paris
La table ronde qui sera modérée par Frank Jaoui, sera suivie d’un échange avec la salle.
La soirée se poursuivra autour du verre de l’amitié
Inscription à contact@beit-haverim.com (préciser le nombre de participants). PAF libre.
Pour tout renseignement : porteparole@beit-haverim.com