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Musique

Elie Guillou, à la rencontre musicale des Kurdes

Le chanteur public revient d’un étonnant voyage à la rencontre d’une population, les Kurdes, séparés entre quatre pays. Une rencontre mais aussi une tentative de redonner du sens au chant et de dépasser les confinements intellectuels et artistiques.

 

L’Arche : Quelle est la particularité des chanteurs publics ?

Elie Guillou : Un chanteur public, c’est un chanteur qui est au service des autres et qui essaie de remplir d’autre fonction que celle de divertir. Dans le passé, le chant était toujours connecté à une fonction précise : pour le travail, les rituels (de la naissance aux funérailles), pour bercer… Le divertissement est légitime, mais il n’est qu’une des fonctions possibles pour le savoir faire du chanteur. Moi, j’écris donc des chansons sur mesure pour les gens : pour des frères fâchés, des amoureux timides, des enterrements, des équipe de foot. Mes chansons ont une fonction précise dans leurs vies.

Qu’est-ce qui vous a amené à découvrir la musique kurde ?

Les Kurdes n’ont pas de pays. Ils sont séparés entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran mais cela ne les empêche pas de conserver une identité forte. Cela passe souvent par la musique. La tradition orale est beaucoup plus importante qu’en France. Un ami photographe qui a travaillé sur le conflit politico-militaire m’a parlé de ces chanteurs Kurdes qui cultivent l’art du chant public. J’ai donc souhaité aller découvrir ces artistes, profitant d’un moment où il se rendait à nouveau dans la région. C’était une période très tendue, où des prisonniers Kurdes faisaient une grève de la faim dans les prisons turques à Diyarbakir, dans la ville où j’étais. Il m’était difficile de rencontrer dans chanteurs dans ce contexte et je me suis retrouvé à m’adapter à un rôle de rédacteur pour mon ami photographe. J’ai eu moins de temps pour traiter de l’aspect artistique mais cette expérience me permit de mieux comprendre la situation des Kurdes.

Avez-vous eu d’autres occasions pour effectuer cette démarche artistique ?

J’ai déposé un dossier à la Mairie de Paris afin de pouvoir y retourner, dans le cadre du concours Paris Jeune aventure. J’ai donc bénéficié d’une bourse, me permettant de retourner en Turquie et en Irak pendant tout le mois d’octobre. Je devais aller en Iran aussi, mais la situation entre les Kurdes et le régime iranien était très tendue à ce moment là. J’ai donc repris le chemin inverse et ça m’a permit d’aller collecter le répertoire kurde syrien dans des camps de réfugiés.

Comment les Kurdes percevaient-ils cette démarche ?

Ils étaient fier comme tout mais ne comprenaient pas bien pourquoi un Français s’intéressait ainsi à eux. Mais il y a une grande différence de perception entre l’Irak et la Turquie. Dans le Kurdistan turc, il y a une seule sorte de chant qui prédomine : le Dengbejs. C’est un peu une attraction touristique et les chanteurs sont habitués à voir des étrangers. En Irak, il n’y a pas de tourisme. Cependant, la langue est différente et permet de mélodiser la parole de plusieurs manières, il y a donc une richesse de répertoire et de technique vocale très importante dans cette région, malgré les ravages fait par Saddam Hussein dans les années 80 et 90. D’une manière générale, on peut dire que les tentatives d’assimilation des pouvoirs centraux ont transformés les chanteurs en symbole d’une lutte : celle pour la différence.

Comment cela peut-il inspirer des artistes en France ?

Ce qui pour moi est important, c’est ça : la lutte pour la différence. Cette manière d’assumer et d’affirmer sa propre identité. Certains types de mélodies, de métaphore, de pensée ne se retrouvent qu’au Kurdistan, à l’abri de tout formatage. On a beaucoup à apprendre d’eux, comme de toutes les cultures traditionnelles qui se sont construites de manière profondément différenciée. En France, les critères du divertissement se sont substitués à toutes les autres fonctions. C’est une conséquence de l’urbanisation qui a rendu les traditions orales caduques. En ville, les fonctions du chant ne sont pas les mêmes. Dans nos régions, on avait une forte tradition orale, que ce soit en Bretagne, en Corse, au Pays Basque, en Occitanie… il faut maintenant retrouver des fonctions différentes, adaptées à un environnement urbain. Le danger, c’est lorsque la musique dépend uniquement de l’industrie du divertissement. L’industrie de la musique a ses propres règles et un but clair : le bénéfice. Elle impose un format et à tendance à niveler les propositions artistiques afin de niveler, donc de maîtriser,  les attentes du public. Cela va à l’encontre de deux fonctions principales de l’art : exprimer une différence et exercer les autres à accepter cette différence.

On remarque aujourd’hui un retour sensible vers la matérialisation de la musique, le plaisir de l’objet tel le disque. Des gens qui ne veulent plus ignorer d’où vient une musique et la dissocier d’une histoire créative et de l’ensemble d’une œuvre ou une référence à un moment précis.

Concernant le format, je ne sais pas ce qui est le mieux. Ça déplace le problème. Internet permet un accès de tout à tous : si j’ai envie de composer une musique bizarre, affranchie de tout formatage, je peux la diffuser. Le problème est de savoir comment les gens y auront accès. Aujourd’hui, il y a une créativité folle en France ! Il y a des milliers de projets vraiment forts et originaux qui se créent en permanence mais ils ne trouvent pas de public. L’espace médiatique est occupé par un nombre très restreint de projets, souvent peu audacieux. Le problème, c’est vraiment la diffusion. Ce que j’ai compris dans la situation kurde, c’est que écartelés sur quatre territoires différents, leur salut passe par la conservation d’une identité forte. C’est un peu le même rôle que doit avoir un musicien : exprimer sa différence et la faire accepter aux gens. Le terrain culturel permet au public d’exercer son ouverture. Si tous les musiciens se formatent, le public n’a plus à affronter cette différence et le ‘muscle’ de l’ouverture se flétrit. L’enjeu est de taille ! Une société dont le muscle d’ouverture n’est pas assez fort rejette tout ce qui pourrait l’enrichir. La musique, comme les voyages, les rencontres, permet d’affirmer que tout se qui m’est étranger me complète, même lorsque ça me contredit…

Vous pouvez retrouver les carnets de voyages d’Elie  sur www.elieguillou.fr