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Le Billet de Frédéric Encel

Guerre et Paix

Deux visions de Sharon et Pérès à la fois opposées et convergentes.

L’Arche : Comment les concepts de « guerre » et de « paix » ont-ils évolué dans la vie d’Ariel Sharon et Shimon Pérès ?

Frédéric Encel : Le premier point à souligner, c’est que ces deux hommes sont des pragmatiques. Contrairement à ce qu’on a essayé de faire croire pendant très longtemps, soit à droite, soit à gauche. À des moments cruciaux de l’existence du pays, successivement Pérès et Sharon ont pris des décisions qui pouvaient sembler à l’encontre de leur idéal originel. C’est ainsi qu’on identifie la marque des hommes d’État. Pérès, membre de la gauche sioniste, très proche de Ben Gourion, assure les conditions qui permettent à Israël de se doter de la bombe atomique. Cela a pu se réaliser du fait de la très grande proximité de Pérès avec les hauts fonctionnaires du ministère de la Défense de la quatrième République dans les années 50. Or ce même homme favorisera plus tard la création de plusieurs implantations politiques, dont Eilon Moré. Au fil du temps, il sera de plus en plus perçu comme une colombe, ce qui ne l’empêchera pas de déclencher l’offensive de Cana en 1996.

Peut-on dire la même chose d’Ariel Sharon ?

Déjà, rappelons qu’il fut au pouvoir cinq années durant, tandis que Pérès ne le fut jamais que par intérim ou en rotation. Bien qu’originaire de la mouvance travailliste, Sharon deviendra un faucon, entrant dans le gouvernement Begin ; il ira du reste plus loin – hélas – que ce que souhaitait le Premier ministre lors de la guerre du Liban de 1982. Néanmoins, en 2005, il quitte la totalité de la bande de Gaza et détruit les implantations qu’il avait lui-même promues ! Chez les deux hommes, on a un regard très lucide sur les nécessités stratégiques d’Israël. On ne retrouve aucune trace de naïveté chez eux. C’est, entre autres, ce qui les caractérise.

Cette perception de la guerre et de la paix se manifeste donc différemment selon les enjeux géopolitiques ?

Oui, de façon rationnelle. Je ne crois pas que ces hommes aient prioritairement évolué en fonction de leur ego, même s’il n’est pas négligeable. L’ego intervient très souvent chez les hommes d’État, et parfois oriente leur politique. Mais je dois dire que ces deux personnages, dont la personnalité est forte, ont su le dépasser pour des considérations très pragmatiques. Pour le meilleur et pour le pire. La guerre du Liban est une tragédie, et c’est la marque de Sharon. En même temps, l’évacuation de Gaza a été positive d’un point de vue diplomatique (et, naturellement, pour les Palestiniens, en dépit de la férule du Hamas depuis 2007). Pérès a pu être considéré comme un naïf lors des accords d’Oslo avec ce qui a été souvent perçu comme une lubie : ce Mizrakh hatikhon khadash, « le nouveau Moyen-Orient ». En même temps, il avait su auparavant doter Israël de l’arme absolue. Et en tant que Président, il a mis en sourdine ses positions de colombe afin de respecter la prépondérance du gouvernement au sein de l’exécutif. Il ne freine ni ne stigmatise les gouvernements israéliens qui n’ont pas sa coloration politique. On le voit bien actuellement… !