Après avoir officié plus de deux décennies comme Grand Rabbin de Grande-Bretagne et du Commonwealth, Sir Jonathan Sacks a choisi de passer la main en septembre dernier. Remplacé par l’ancien Grand Rabbin d’Irlande Ephraim Mirvis, il se consacre désormais à l’enseignement et à l’écriture. L’Arche a interrogé Jonathan Sacks sur l’un de ses principaux chevaux de bataille : le dialogue interreligieux.
Le dialogue interreligieux a t-il progressé en Grande-Bretagne au cours de vos deux décennies à la tête du Grand Rabbinat ?
Oui, il est bien plus fort aujourd’hui. J’ai entretenu publiquement une amitié avec les représentants de la communauté chrétienne, Anglicans comme Catholiques. Nous avons également eu des relations approfondies avec les autres croyances – l’islam, l’hindouisme, le sikhisme, mais aussi les Jaïns, les Zoroastriens, les Bahaïs… Ça a été un élément central de mon mandat. D’ailleurs, je préfère utiliser le mot d’amitié plutôt que celui de dialogue.
Quelles sont vos principales réalisations dans ce domaine ?
Ma grande proximité avec l’archevêque de Canterbury a été quelque chose d’extrêmement positif. Par ailleurs, la voix juive est devenue une voix majeure du débat public britannique. J’ai participé à de nombreuses émissions, où j’ai pu m’adresser à des non-Juifs de toutes sortes. Et je crois que ça a renforcé le sentiment de respect à l’égard du judaïsme, à l’extérieur de notre communauté. Mais je pense que ça a également renforcé ce sentiment chez les Juifs mêmes. Quand ils ont vu qu’un message juif pouvait avoir un impact sur un public non-Juif, leur estime de soi et leur assurance s’en sont trouvées fortifiées. Il n’y a pas à choisir entre le dialogue avec des non-Juifs et le dialogue avec des Juifs. Mon idée, c’est que si vous parvenez à vous adresser à des non-Juifs, vous serez à même de toucher des Juifs que vous n’auriez probablement pas atteints autrement.
Auriez-vous pu toutefois en faire plus ?
Nous avons vraiment agi sur tous les fronts. Je pense notamment à la question de l’action sociale, qui a émergé au cours des dernières années du fait de la communauté. Nous avons une journée en Grande-Bretagne, intitulée Mitzvah Day, durant laquelle les organisations juives s’ouvrent aux autres et agissent en faveur du hesed (concept de grâce ou de miséricorde dans le judaïsme, ndla). Lorsque les Hindous en ont entendue parler, ils ont été très enthousiastes et ont demandé : « Pensez-vous que nous pourrions organiser un Mitzvah Day ? ». Et ils ont mis en place un événement, qu’ils appellent Sewa Day – le sewa étant ce qui se rapproche le plus d’une mitzvah dans l’hindouisme. Toutes les autres croyances ont alors voulu rejoindre le mouvement. Le fait d’avoir été à l’avant-garde est fondamental, d’un point de vue strictement juif. Nous savons qu’il existe un problème d’antisémitisme en Europe et que nous avons des ennemis. Mais nous avons aussi des amis. Dès lors que nous nous ouvrons, nous nous rendons compte qu’ils sont nombreux.
Le conflit israélo-palestinien a t-il sapé le dialogue avec la communauté musulmane ?
Ce sujet déclenche parfois des tensions entre étudiants Juifs et Musulmans sur les campus universitaires. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu de problème car, pour des questions de principe, je ne pouvais pas inclure Israël dans mes conversations avec la communauté musulmane. Mon message était le suivant : exportons un message d’amitié et de coexistence depuis la Grande-Bretagne vers le Moyen-Orient et n’importons pas un message conflictuel depuis le Moyen-Orient vers la Grande-Bretagne. Les représentants musulmans ont souri et trouvé que c’était une bonne idée. C’est sur cette base que nous avons pu construire notre relation.
Malgré tout, vous avez dû faire face à l’absence de représentants officiels de cette communauté…
Quand vous souhaitez parler aux Anglicans, vous vous adressez à l’archevêque de Canterbury. Quand vous souhaitez parler aux Juifs, vous vous adressez au Grand Rabbin. L’équivalent chez les musulmans n’existe pas. C’est problématique, et pas seulement en ce qui concerne le dialogue religieux. Tout le monde le sait, à commencer par les Musulmans. Il n’y a pas une communauté musulmane britannique, mais plusieurs communautés, qui viennent de différents pays et ont différentes traditions. C’est un groupe fragmenté.
Qu’en est-il du dialogue que vous avez initié entre les différents courants du judaïsme britannique ?
Les tensions étaient palpables lors des premières années de mon mandat de Grand Rabbin. C’est pourquoi j’ai décidé qu’il fallait agir en fonction de grands principes. J’en ai établi deux, qui me paraissaient justes moralement et intellectuellement et se sont révélés efficaces sur le terrain. Ces principes sont les suivants : sur toutes les questions qui nous touchent en tant que Juifs, nous travaillerons ensemble, indifféremment de nos différences religieuses ; sur toutes les questions qui touchent à nos différences religieuses, nous acceptons d’être en désaccord tout en nous respectant. J’ai donc œuvré de concert avec des Juifs non-orthodoxes sur des sujets comme l’interreligieux, la lutte contre l’antisémitisme, la défense d’Israël. Sur d’autres sujets, tels que notre conception du judaïsme, de l’éducation juive ou de la Torah, nous avons accepté nos différences, dans le respect les uns des autres.
Le sentiment d’appartenance au judaïsme est-il plus fort qu’auparavant ?
En l’espace d’une vingtaine d’années, le pourcentage d’enfants envoyés en école juive est passé de 25 à 70%. Nous avons désormais une communauté juive, où les enfants en savent plus que leurs parents sur le judaïsme.