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Israël

Israël : l’étau se resserre sur les immigrés illégaux africains

Plusieurs dizaines de milliers d’immigrés africains, entrés illégalement en Israël, manifestent depuis dimanche dans les rues de Tel-Aviv ; ils expriment également leur mécontentement en se livrant à une grève, ressentie notamment dans les restaurants et les hôtels de la capitale économique israélienne qui les emploient. D’origine d’Erythrée ou du Soudan, ils protestent contre la politique du gouvernement israélien, qui refuse de considérer leur statut de demandeurs d’asile, et s’apprête à envoyer jusqu’à 9000 d’entre eux dans un centre de détention « ouvert » dans le sud du pays.

Commençant leur marche depuis le parc Levinsky, dans le sud de Tel-Aviv, où une grande partie des Africains ont établi résidence, les manifestants se sont dirigés vers les ambassades internationales, notamment celles des Etats-Unis, de la France, du Royaume-Uni ou encore du Canada ; ils ont demandé aux gouvernements étrangers de faire pression sur Israël afin que les autorités du pays reconnaissent leur statut de réfugié, qu’elles cessent les arrestations et libèrent leurs pairs déjà incarcérés.

Environ 50,000 Erythréens et Soudanais sont entrés illégalement en Israël au cours de ces six dernières années, par la frontière avec l’Egypte. Jusqu’en septembre dernier, date à laquelle la loi sur la Prévention des Infiltrations a été jugée anticonstitutionnelle par la Haute Cour de justice, les immigrés africains pouvaient être retenus trois ans en prison, sans jugement, dans l’attente de la détermination de leur statut de réfugié.

Au début du mois de décembre dernier, les ministres ont amendé la loi, réduisant la période d’incarcération maximale sans jugement à une année. La nouvelle loi légifère également sur l’ouverture d’un centre de détention « ouvert », à Holot, dans le Néguev.

Le centre de Holot sera ouvert la journée, les détenus devront toutefois pointer trois fois par jour et être rentrés avant 22h. Ils seront dépourvus de la possibilité de travailler en dehors du centre, mais recevront, à en croire le directeur général du ministère de la Sécurité Publique, 500 shekels par mois, soit environ 100 euros. La durée de détention dans ce centre reste illimitée.

Depuis l’ouverture de la structure à Holot, le 12 décembre dernier, les convocations ainsi que les arrestations se sont multipliées ; plusieurs centaines d’Africains y ont déjà été envoyés. « D’une prison à l’autre !! », arboraient des écriteaux au-dessus de la foule pendant les manifestations de ces derniers jours.

Emmanuel, un Erythréen chrétien de 27 ans, en Israël depuis six ans et propriétaire d’un petit magasin de vêtements à deux pas de la station centrale de bus, déplore la situation actuelle. « Ces dernières semaines, mon magasin est vide », affirme-t-il, poursuivant : « ma clientèle, essentiellement constituée d’Erythréens, ne vient plus ; les gens ont peur de sortir de chez eux et de se faire arrêter – qu’ils soient détenteurs ou non d’un visa de résidence temporaire ».

En janvier 2013, Israël a achevé la construction d’une barrière de sécurité le long de sa frontière avec l’Egypte, stoppant presque complètement l’afflux d’Africains en provenance du Sinaï. Ceux qui sont parvenus à gagner la Terre promise avant cette date, même s’ils tombent sous la protection de la convention 1951 de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés1, regrettent de n’être pas dignement considérés par les autorités israéliennes.

« Je suis coincé ici », déplore Daniel, 26 ans, lui aussi érythréen et chrétien, arrivé voilà six ans. « Je ne peux pas travailler, ni étudier ; je ne peux pas non plus sortir du pays : si je rentre chez moi, c’est la prison à vie qui m’attend. Sortir d’Israël m’est également impossible, aucun pays ne me donne de visa ; et maintenant, je risque la prison ».

En Israël, la coalition au pouvoir considère que cette population est exclusivement formée d’immigrés économiques, et ignore les demandes d’asile. Les ministres se sont attelés à les criminaliser et les ont rebaptisé « les infiltrés ». Il s’avère par ailleurs que, lors d’arrestations récentes, le tribunal de Be’er Sheva utilisait des numéros de prisonniers, et non des noms, afin de se référer aux personnes concernées.

« Nous sommes des réfugiés, pas des criminels ! », scandaient les manifestants dimanche, place Rabin, dans le centre-ville de la capitale économique israélienne.

Les députés de l’opposition se sont majoritairement insurgés contre la nouvelle loi proposée par la députée du Likoud Miri Regev, qui, en mai 2012, avait qualifié les immigrés illégaux de « cancer » – après s’en être excusée. La loi est passée à 30 voix contre 15. Le ministre de l’Intérieur, Gideon Sa’ar, a quant à lui argué que « les droits de l’homme ne constituaient pas un tremplin pour la destruction de la nation ».

Le représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en Israël a, pour sa part, appelé le gouvernement hébreu à trouver une alternative à l’actuel « entreposage » des immigrés illégaux, soutenant que « les nouvelles lois et politiques d’Israël ne s’inscrivaient pas dans l’esprit de la convention de 1951 pour les réfugiés ». Les dirigeants actuels semblent en effet avoir un peu trop rapidement oublié leur propre histoire.

Note :

1 La convention 1951 de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés stipule qu’une personne fuyant son pays en raison d’une crainte fondée de persécution ne peut être déportée du pays dans lequel elle s’est réfugiée.