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Littérature

Sandrine Treiner au MAHJ

Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme accueille l’écrivain pour une conversation avec la journaliste Raphaelle Rérole.

Habituée aux voix, Sandrine Treiner est l’une des chevilles ouvrières de la radio France Culture. C’est pourtant en se heurtant au silence d’un visage, qu’elle prend un chemin inattendu… Celui de Manya Schwartzman, une jeune femme dont il ne reste presque pas de traces, dans son livre L’idée d’une tombe sans nom (Grasset, 2013). « Nul ne sait ce qu’elle est devenue et nul n’a cherché à le savoir. » Hantée par les disparus, Treiner ne peut se contenter d’un tel effacement, alors elle saisit cette destinée inconnue à bras-le-corps. Le miracle de l’écriture étant de ressusciter un être de chair par la force des mots et du papier. Il faut dire que Sandrine a toujours vécue entourée de livres. « On peut tout surmonter du moment qu’on en a un », soutient l’auteure, dont la blondeur et le regard vert d’eau tranchent avec les fleurs de sa veste noire. « Plus qu’un refuge, le livre incarne un compagnon et la meilleure protection contre l’agressivité du monde extérieur.

La lecture se veut un acte solitaire, mais c’est aussi une formidable ouverture vers d’autres univers. On ne transmet pas ce goût impunément, tant il entraîne la liberté d’inventer ou de se réinventer. » Un pouvoir perturbateur dont les femmes ont longtemps été privées. Ce n’est pas le cas de Manya Schwartzman qui grandit dans une famille atypique de Bessarabie. Au sein du shtetl de Kichinev – où elle voit le jour en 1906 – l’existence est cloisonnée et pénible, mais ses parents font preuve d’une incroyable ouverture d’esprit en encourageant le mouvement égalitaire et libertaire de leurs enfants. Un point commun avec Sandrine Treiner qui évolue pourtant dans un environnement très différent. Celui d’une maison juive, cultivée et athée, où l’on est profondément engagé et militant. Obligée de subvenir aux besoins des siens, Manya devient couturière à 12 ans. Elle entre en communion avec les communistes et va jusqu’à faire de la prison, mais cela n’entame en rien son désir de Révolution.

Historienne de formation, Treiner estime que « l’Histoire implique une compréhension du singulier et du collectif. Ce n’est qu’en saisissant le passé, qu’on pourra appréhender l’avenir. » Elle avoue s’être dirigée vers cette spécialité car « l’Histoire englobe de nombreuses histoires ». Après une bio de la famille Servan-Schreiber ou le « Livre noir de la condition des femmes », elle se laisse aimanter par la personnalité de Manya Schwartzman. « Ce n’est guère une étrangère, au contraire… Que ce soit le monde juif, l’engagement ou la liberté, tout ce qui façonne sa vie m’intéresse. » L’auteure la perçoit comme une héroïne de son temps, qui se bat pour un monde juste. Certains de ses congénères optent pour le sionisme, mais Manya préfère l’idéologie révolutionnaire. La jeune fille veut s’extraire d’un ghetto, synonyme d’étau, or cela a un prix. Elle a 20 ans quand elle quitte définitivement sa terre natale. Animée par une détermination farouche, elle se croit investie d’une mission. Un lien qu’elle partage avec Sandrine qui suit fidèlement sa trace, quitte à devoir parfois renoncer à tout savoir. « Manya est libre de pouvoir partir et aller là où elle veut.

Aussi demeure-t-elle toujours actrice de sa propre vie. Elle nous apprend ainsi que c’est l’indépendance intérieure qui donne accès à l’indépendance concrète. » Or on a beau vouloir s’affranchir, on risque d’être rattrapé par la réalité. L’eldorado promis de la nouvelle Russie n’est qu’un piège qui se referme petit à petit sur la trentenaire et sa nouvelle famille. Alors que Manya pensait enfin pouvoir réunir les siens, elle envoie une missive : « Ne venez pas. Nous nous sommes trompés. » Une ultime preuve de courage avant d’être emportée par les purges staliniennes, en 1941. « Les livres sont là pour réparer le besoin de savoir ce qu’on a perdu. Il faudrait presque que chacun d’entre nous prenne en charge un être oublié. C’est si vertigineux de ne pas laisser de trace. » Les larmes aux yeux, l’auteure avoue ne pas être apaisée. « J’ai envie de raviver d’autres histoires, tant je ne parviens pas à lâcher cette époque et cette géographie qui sont les miennes. » Privée de tombe, Manya est tombée dans l’oubli, alors Sandrine Treiner lui offre ici une sépulture inouïe.

Rencontre le jeudi 30 janvier au MAHJ, 71 rue du Temple 75003 Paris. Réservation au 01 53 01 86 48