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Cinéma

Félix Moati, l’air d’un grand

Découvert dans Lol et nommé pour le César du meilleur espoir masculin pour Télé Gaucho, l’acteur de 23 ans entame une ascension fulgurante. Judaïsme, Tunisie, 20 ans, politique… La belle gueule du cinéma français déballe tout avec brio. 

L’Arche : As-tu toujours rêvé d’être comédien ?

Félix Moati : Pas du tout. Je m’imaginais comédien pour plaire aux filles, au départ. Lorsque j’étais en terminale, je me suis inscrit à un cours de théâtre. Sans me prévenir, le prof a envoyé ma fiche à la directrice de casting de Lol. J’ai passé les essais et j’ai été pris. Coup de bluff absolu ! A partir de là, j’ai eu un agent. J’ai commencé à passer des essais pour différents films tout en étudiant en hypokhâgne et khâgne. Et puis, un jour, j’ai été nommé aux Césars pour Télé Gaucho.  Maintenant, je fais l’acteur à plein temps.

En gros, tu as vu de la lumière et tu es entré…

D’abord, ça aurait pu arriver à un autre. Et puis surtout, il y a des choses beaucoup plus importantes dans la vie : savoir être amoureux, être un homme moral, les questions de la foi, de la vie. Que le métier d’acteur s’arrête ou non, c’est une inquiétude constante qui peut être soulagée par du Xanax. Les autres sont des angoisses métaphysiques auxquelles on n’a pas vraiment de réponse. On est quand même un peu sur Terre pour se poser ces questions-là.

Que penses-tu des rôles qui t’ont été proposés jusqu’à présent ?

C’est marrant parce que je me suis fait la réflexion tout à l’heure. J’étais avec un metteur en scène qui me proposait encore un même rôle – que j’ai accepté. C’est le rôle d’un amoureux éconduit. Je ne sais pas pourquoi je renvoie ça. Je suis plutôt beau gosse pourtant ! On me propose pas mal de rôles comiques aussi. Ça me fait plaisir parce que ce genre n’est pas facile. C’est très bon pour apprendre mon métier, même si je suis plutôt spectateur de drames. Tous les scénarios que je lis ne sont pas fantastiques et c’est très dur de dire non. Du coup, je les fais lire à ma nana et à mes potes, j’en parle beaucoup à mon agent… Si le film ne plaît ni à ma copine ni à mes amis, je le fais pas. Je me fais très peu confiance dans mes avis. Quand t’es désiré par un metteur en scène, t’as envie d’aimer, c’est terriblement humain.

Si ton métier d’acteur devait s’arrêter demain ?

Je serai très triste, c’est une drogue. Je brûle d’envie d’être aimé dans ce métier. J’adore jouer, je trouve ça très noble et amusant. Quel métier pourrais-je bien faire… Quand j’étais gosse, je rêvais de faire de la politique. Et écrire, aussi. Des romans, des scénarios, des pièces de théâtre. Et puis être avec de belles femmes !

Dans quelle mesure te sens-tu juif ?

Je ne me sens pas autre chose que juif même si je suis dans une position ambivalente. Je n’ai jamais été vraiment pratiquant et je pense même ne pas croire en Dieu. Mais c’est la seule question qui me fascine et me passionne véritablement : Dieu existe-t-il ? Je suis passionné par l’idée de foi, dans la religion ou dans la politique. Bref, la dévotion a quelque chose qui nous dépasse. J’aime les gens possédés par la foi et par quelque chose qui est plus important qu’eux. C’est la base même de l’engagement et de l’Histoire. Les gens qui font l’Histoire, le progrès sont pris par quelque chose qui les dépasse. Et on le retrouve d’ailleurs dans la relation amoureuse. Cette idée me plaît.

Quelle part juive t’a transmis ton père, Serge Moati ?

L’hypocondrie ! Et puis, l’angoisse, l’ashkénazerie sépaharade. J’ai eu le goût de l’autodérision, de l’ironie et du refus du sérieux. Ce sont des composantes assez essentielles dans la culture juive. On les retrouve notamment chez Woody Allen. En tout cas, je me sens complètement juif. J’ai même fait ma bar-mitzva chez les libéraux. Et sans recevoir de cadeaux, donc ce n’était même pas intéressé ! À cette période-là, je croyais très fort en Dieu. Ensuite, je suis allé au Niger. Là, je me suis dit « même si il y a un Dieu, y’a trop de souffrance… ». Je me suis toujours senti juif mais sans jamais avoir un esprit de communauté. Et je ne suis pas vraiment dans le dogme. J’aime bien le rapport à la religion qu’entretient Spinoza, un rapport très individuel à Dieu.

C’est dur d’être juif en 2014 ?

Sans être paranoïaque, le judaïsme porte en lui la haine des autres. La question juive obsède tout le monde. Quand on voit que Mein Kampf est le livre le plus vendu sur Ibook… Je tends à croire qu’il faut toujours parler, tenter de ramener à la lumière les gens. Il y a quelque chose qui me terrifie dans l’antisémitisme : ce côté totalement obsessionnel, universel, intemporel et éternel. Je ne comprends pas.

A quel point te sens-tu tunisien ?

Déjà, je parle arabe. Enfin, je parle l’arabe littéraire donc c’est comme si je te parlais en latin. J’avais  aussi découvert les moualakat, des poètes nomades qui faisaient des joutes verbales dans le désert. Je voulais faire pareil ! Alors, je suis allé deux mois à l’institut Bourguiba à Tunis pour apprendre la langue. Sinon, je me sens très tunisien dans la chaleur humaine. L’absence d’hospitalité m’est incompréhensible, me glace le sang même. Grâce à mon père, j’ai aussi acquis la suspension du jugement. La Méditerranée t’apprend à être tendre. Et puis, bien sûr, je me sens tunisien dans la bouffe, dans le fait de parler avec les mains, dans la gouaille…. J’y vais tous les ans, mes parents ont une maison à la Marsa. Je suis fier de voir que l’antisémitisme ne prend pas en Tunisie. Le seul antisémitisme qui existe là-bas est le fait d’ignorants.

T’en as pas marre qu’on te parle de ton père ?

Vraiment pas ! Je suis très fier d’être son fils. En revanche, je regrette qu’on ne parle pas assez de ma mère. Je me vis comme l’héritier de mon père, c’est aussi ça le judaïsme pour moi. Comme dit la psychanalyse : il faut trouver son langage à soi. J’y travaille. Mais j’ai envie de perpétuer ce rapport au monde qu’il m’a donné : l’empathie, le goût des autres plus que de soi… C’est un bienveillant qui regarde plutôt le bon côté des choses.

Plutôt de gauche ou de droite ?

Très clairement de gauche, la question ne se pose même pas ! C’est encore une fois une histoire de transmission. Mère et père de gauche, mais pas de la même gauche. Ma mère est d’une gauche très rationnelle, modérée, qui a le sens de l’Etat, social-démocrate au sens classique du terme. Mon père, lui, c’est plus une gauche du sentiment, de l’affect, profondément énervé par l’injustice. Il y a cette phrase de Rimbaud : « À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues ». Si on n’est pas sur Terre pour réparer l’injustice des destins, je ne sais pas à quoi on sert. Je suis bien né, j’ai de la chance. L’Etat et les structures sociales doivent être mises en place pour réparer ces injustices-là qui sont insensées, car dues à l’arbitraire et au hasard. C’est ce qu’il faut expliquer aux gens de droite. Puisqu’on ne peut pas changer l’arbitraire des naissances, autant essayer de changer l’injustice des destins. La gauche va dans le sens de l’Histoire. Le progrès social, c’est l’Histoire. Le conservatisme social, l’Histoire a toujours montré que ce n’était pas fertile. La raison veut qu’on soit de gauche !

Avoir 20 ans, ça signifie quoi pour toi ?

Avoir 20 ans, c’est un sale âge, un âge pourri. C’est l’âge de tous les doutes, de tous les effondrements : des illusions, de la famille, d’une certaine innocence. Il y a cette phrase de Laurence d’Arabie : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Ça se double dans notre génération d’une inquiétude quant au futur. Je touche du bois, je suis un verni. Mais elle existe cette angoisse des stages, cette angoisse de se lancer dans la vie active, le prix du loyer… La crise financière et morale aussi, car elle est surtout morale. Il y a une tentation des extrêmes et de la morbidité intellectuelle. On a l’impression d’être arrivé à la fin d’un cycle. Difficile d’imaginer comment les choses pourraient se régénérer. C’est terrifiant, je trouve. N’oublions pas qu’on est la génération de la chute du mur de Berlin. Même si je déteste le communisme de l’Est, il y avait au moins une alternative au capitalisme. Là, même dans notre inconscient collectif, l’alternative n’est pas possible. Enfin, on est la génération où on doit baiser avec des préservatifs. Notre rapport au désir est complètement médiatisé par la mort.

Un aspect de ta personnalité qui contraste avec ton image ?

La pudeur. Je parle le plus possible pour ne pas dire ce qui compte vraiment.

Et alors… qu’est-ce qui compte vraiment ?

Haha ! L’énigme amoureuse. C’est la seule question qui m’obsède tous les jours et qui fait que je ne suis jamais calme.

Felix Moati sera à l’affiche de Libre et assoupi, un film de Benjamin Guedj. Sortie en salles le 7 mai.