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Littérature

Après quoi on court

Jérémy Sebbane, auteur de l’essai Pierre Mendès France et la question du Proche-Orient, publie son premier roman, témoignage décalé et sincère d’une génération.

 

Page 108, Aaron donne son avis sur les slows. « Depuis les années 1990, danser à deux c’est complètement out. Mais, non ! Chloé qui avait trop vu La Boum et se prenait pour Vic Beretton (bien qu’elle ressemblât beaucoup plus à Pénélope) avait voulu nous la jouer revival. »

Quel quadra n’a pas été marqué dans son enfance par la muse Sophie Marceau interprétant Vic Beretton ? Ce personnage à qui toutes les filles voulaient ressembler et tous les garçons embrasser. La boum c’est surtout l’annonce d’une génération à qui l’histoire s’apprête à sourire. Le tournant des années 80 où une femme a enfin le droit de voter mais aussi depuis peu de disposer de son corps et de son compte en banque.

Une génération qui voit tomber, grâce à la pugnacité du ministre Robert Badinter, à la fois la peine de mort et la menace d’arrestation d’une personne homosexuelle. Les concerts de violons pour faire tomber le Mur de Berlin et les concerts de guitares pour nourrir l’Afrique. La fin de la Guerre froide et les négociations de paix de moins en moins secrètes entre Israéliens et Palestiniens. Sans parler des lendemains économiques heureux qu’on nous chante et de la fin du racisme qui défile. Mais il y a une tâche sur le tableau : le sida. Cette jeunesse rêveuse voit son insouciance interdite d’accès à la chambre à coucher.

Pour la nouvelle génération qui a aujourd’hui 30 ans et dont l’auteur et les personnages font partie, c’est le contraire. Tout (ou presque) va mal au niveau politique, social et économique. Du 11-Septembre à ces massacres en Syrie qui ne suscitent aucune manifestation d’indignés, en passant par la poussée du racisme, de l’antisémitisme et de l’homophobie qui se banalisent et se réinventent.

Mais dans ce monde anti-fukuyamesque, une chose s’ouvre : les sentiments et l’acceptation d’autres orientations et désirs. Lisa aime Aaron, qui aime Michaël, qui aime Dana. Ce quatuor amoureux et compliqué se dénoue lorsque Samuel, le grand frère d’Aaron, à la musculature aussi solide que l’idéologie, part vivre en Israël. Il représente la force et construit sa carapace avec l’espoir d’un meilleur lendemain lointain comme d’autres rescapés des années 80, chacun s’envolant pour son Amérique. Les quatre voix parlent tour à tour, chapitre après chapitre et libèrent leurs frustrations. Les séquences « cultélévisuelles » se mêlent à l’initiation à la philosophie et aux adhésions politiques. Lesquels servent d’armement léger dans l’affrontement amoureux entre les protagonistes. Les années passent et les forces et faiblesses changent de camp et de sens.

Ce dialogue à quatre est bel et bien ce qui permet à deux générations de se comprendre et d’essayer de faire coexister le meilleur des souvenirs des uns avec les espérances des autres. A lire pour comprendre après quoi il serait bon de courir.

Jérémy Sebbane, Après quoi on court. MA Editions.

Sortie prévue le 13 mai