Géraldine Nakache, Max Boublil, Alex Darmon, Bérengère Krief, Ary Abittan. Ils incarnent le nouveau visage de la comédie… à la française.
Où est donc passé l’accent marocain ? La blague sur la mère juive ? Fini « la salade de carottes », lancée par un Gad Elmaleh à la main tremblante sur une canne. Oubliée la « Madame Sarfati » et son embonpoint à peine masqué avec Elie Kakou. L’humour identitaire, voire communautaire, semble être passé de mode. Il suffit de jeter un œil à la carrière de Géraldine Nakache pour s’en apercevoir. Découverte en 2006 dans Comme t’y es belle de Lisa Azuelos, Géraldine Nakache a, depuis, tracé sa route en tant qu’actrice et réalisatrice. Celle qui a grandi à Puteaux (92) met en scène sa ville dans son premier long-métrage Tout ce qui brille. On y retrouve l’histoire de deux amies de longue date qui vivent dans une banlieue populaire à dix minutes de Paris. Lassées de vivre « à dix minutes de tout », elles essayent de se fondre dans le chic des soirées parisiennes et de pénétrer un monde qui n’est pas le leur. À sa sortie, le film rencontre alors un succès critique et commercial, allant jusqu’à être nommé au César du Meilleur premier film 2011. Leïla Bekhti, qui joue le rôle de la meilleure amie de Géraldine Nakache, remporte même le César du Meilleur espoir féminin.
À l’écran comme dans la vie, c’est le début d’une longue amitié entre les deux jeunes femmes. Deux ans plus tard, en 2012, la réalisatrice remet le couvert avec Nous York. Les deux actrices y jouent de nouveau des meilleures amies. Le pitch : trois trentenaires débarquent à New York pour faire une surprise à leur amie d’enfance Samia (Leïla Bekhti), avec la complicité de Gabrielle (Géraldine Nakache), toutes deux installées depuis deux ans dans la Grande Pomme. Sœur d’Olivier Nakache, notamment connu pour avoir coréalisé le film Intouchables, et ex-femme du comédien Manu Payet, Géraldine est la dernière d’une famille sépharade. Hormis une interview accordée à Elle en 2011 dans laquelle elle raconte passer chaque Chabbat chez ses parents, Géraldine laisse peu de traces de son identité juive dans les médias et dans son métier. Derrière et devant la caméra, elle préfère explorer les relations d’amitié et les questionnements de jeunes trentenaires. Tout en jetant des ponts avec ses pairs issus d’autres communautés. « Le vendredi soir, Manu, qui est catholique, m’accompagne. Et Leïla, aussi, vient souvent », confiait-elle au magazine féminin.
Buzz médiatique
De son côté, Max Boublil joue, lui aussi, sur d’autres registres. L’éternel adolescent de 34 ans a d’abord fait parler de lui sur internet avec ses chansons et ses clips. « Ce soir, tu vas prendre », « Prête-moi ta meuf », « T’es bonne… mais qu’est-ce que t’es conne » ou encore « J’aime les moches »… L’homme aux 130 millions de vues sur Youtube surfe sur le langage cru et provocant… et ça fonctionne. Entre 2007 et 2009, Max Boublil effectue des apparitions comiques dans l’émission Le Grand Journal sur Canal + ou encore dans Max les veut toutes sur Comédie ! et sur NRJ 12. Prétextant un rendez-vous professionnel, Max rencontre des célébrités du PAF (Clara Morgane, Ariane Massenet, Valérie Damidot, Marjolaine…) et tente de les charmer sous le regard d’une caméra cachée. Toujours fidèle à son jeune public, Max s’inspire du phénomène Chatroulette et même de Susan Boyle pour écrire de nouvelles chansons. Jusqu’à l’arrivée d’un spectacle musical intitulé Le one man musical.
En 2010, le jeune homme créé le buzz suite à sa chanson humoristique intitulée Chanson raciste, traitant des préjugés sur les Noirs, les Arabes, les Juifs et les Chinois. Le rappeur Alibi Montana s’en prend violemment au comique au travers d’une vidéo postée sur internet. Ces attaques, en réalité montées de toutes pièces, étaient destinées à créer un buzz médiatique et ont abouti à un duo des protagonistes, avec la chanson intitulée Max Boublil clash alibi Montana. En 2013, Max passe au septième art en co-écrivant le film Les gamins. Il y interprète le rôle d’un jeune homme fuyant la vie routinière aux côtés de son futur beau-père, joué par Alain Chabat. Là encore, aucune référence identitaire mais simplement générationnelle. D’ailleurs, lorsque le Jérusalem Post demande au comique si son humour porte une trace juive, il répond : « Non, parce que j’aime aussi Coluche, qui manie l’humour juif sans l’être (…) Je suis déjà dans la bêtise et la provocation, je ne suis pas en position d’être un porte-parole ».
A la folie
À 30 ans, Bérengère Krief peut se targuer d’être un visage connu par une large partie des 18-35 ans. Celle qui a incarné le personnage de Marla dans la série Bref sur Canal + est, depuis, passée à la scène. À la manière d’une Florence Foresti, Bérengère incarne un personnage pétillant et culotté, aux accents féministes. Dans son spectacle, elle dispense à son public féminin quelques conseils pour faire face aux dragueurs de rue. Ou explique à quel point les hommes qui l’intéressent sont toujours maqués… avec d’autres hommes. Bérengère exporte aussi ses vannes à travers les collectifs comme avec sa troupe d’improvisation, Les Colocataires, composée de cinq autres humoristes. Sans oublier le Connasse Comedy Club : une bande d’amies (Anne-Sophie Girard, Christine Berrou, Nadia Roz, et Bérengère Krief) décide de monter un spectacle fondé sur chacun de leurs textes respectifs mixés ensemble et remaniés afin de créer des interactions entre les comédiennes.
Qui peut oublier l’inimitable imitation du journal télévisé en arabe, de l’émission de cuisine turque et de la météo italienne d’Ary Abittan ? Celui qui a passé une partie de son enfance entre Garges les Gonesse et Sarcelles a financé ses cours de théâtre en travaillant comme chauffeur de taxi. Jusqu’à pouvoir assurer des premières parties d’artistes tels qu’Enrico Macias, Gad Elmaleh et Élie Semoun. En 2009, son visage est véritablement révélé au public grâce à son rôle dans le film Coco de Gad Elmaleh et de la fameuse scène de la « Kipacabana ». À partir de là, Ary Abittan lance son spectacle À la folie, coécrit avec Judith Elmaleh, à Paris et en tournée dans toute la France. Dans une interview accordée au quotidien suisse Le matin, l’humoriste de quarante ans raconte comment sa mère et sa grand-mère tunisiennes l’ont inspiré pour ses sketches. De manière subtile toutefois, car le caractère juif de sa famille ne se ressent que très peu dans son travail.
De l’autodérision
Cette rupture entre l’ancienne génération d’humoristes juifs et la nouvelle, Alex Darmon la constate quotidiennement. « J’ai un grand débat avec moi-même par rapport à la question de la place que doit occuper mon identité juive dans mon spectacle », explique l’humoriste de 26 ans. « Je considère qu’on l’évoque toujours mais différemment. Contrairement à des humoristes tels que Gad Elmaleh, Elie Kakou ou Michel Boujenah, nous sommes nés en France et avons grandi ici, poursuit-il. La culture du Maghreb est évidemment moins présente. Toutefois, nous demeurons imprégnés de ce judaïsme mais pas de la même façon. Pour moi, il est inconcevable d’écrire un sketch sans parler de ma mère. C’est en moi. Dans mon spectacle dans lequel je parle beaucoup de l’actualité, il n’y a que très peu de place pour parler de ma religion. Mais lorsque je le fais, cela me donne une légitimité ».
Chroniqueur sur Judaïques FM et sur Public Sénat, Alex Darmon considère qu’il existe de moins en moins d’humoristes juifs, notamment en raison de leur difficulté à renouveler le genre. « On arrive vraiment après des monstres, constate-t-il. Si on décide de faire le même humour qu’eux, on se fera distancer car le niveau ne sera pas le même. L’humour identitaire du Jamel Comedy Club, par exemple, fonctionne car ils n’ont pas le même héritage que nous. À part Smaïn, ils étaient peu nombreux à jouer sur ce registre. Aujourd’hui, nous nous devons de ne plus faire d’humour communautaire et de nous adresser à tous. Et puis avec le contexte crispé, une certaine forme d’autodérision a forcément été tuée. Par conséquent, beaucoup d’humoristes juifs se mettent des barrières et évitent d’aller trop loin comme d’autres osaient le faire auparavant ». En 2014, le rire juif en France se cherche encore et n’attend qu’une chose : être réinventé.