La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 

Le nouvel Arche est sorti

Être attentifs à ce qui vient

 

Quelles images resteront de ce voyage pas comme les autres ? Ce fut un voyage court, mais intense et extrêmement riche en émotions, en symboles, en gestes forts.

1. Il y eut l’image devant le Kotel. Le pape François se recueillant comme l’avaient fait avant lui ses prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI et glissant un mot dans la fente du Mur à Jérusalem. Le visiteur s’est ensuite approché de son ami le rabbin Skorka et de l’imam de Buenos Aires qui l’accompagnaient, et tous trois se sont étreints longuement. Ce moment d’intimité, qui se voulait en même temps une démonstration simple et presque naturelle de concorde interreligieuse, signait la manière de ce pape qui ne fait pas de très longs discours et préfère le témoignage et la proximité. Abraham Skorka, manifestement très ému, a eu ces mots : « À l’étreinte avec Athënagoras, il y avait eu un précédent. À la nôtre, il n’y a pas de précédent. »

2. Le pape François s’est rendu, accompagné du Président de l’État et du Premier ministre israélien, sur le Mont Herzl pour déposer une gerbe de fleurs sur la tombe du théoricien de l’État juif, celui-là même qui avait cherché, il y a 110 ans, à convaincre le pape Pie X de soutenir la création d’un État juif et qui s’était heurté alors à un « non possumus ». C’était une première. Les deux visites précédentes – sans parler de la première, celle de Paul VI qui a laissé un goût amer – ne comprenaient pas cette étape-là. De ce point de vue, le pape François a innové, et ce faisant, a touché le cœur des Israéliens.

3. Le discours à Yad Vashem était très attendu. Le souverain pontife s’est livré à une adresse à l’homme. Ce fut comme un poème, une prière, une lamentation autour des notions de honte et d’ignominie. Comme une sorte de cri lancé depuis ce lieu à l’intention de l’homme. « Où es-tu ? » Une supplique prononcée dans une méditation inspirée et qui résonnait sous ces voûtes en écho à l’interrogation biblique « Ayeka », « où es-tu ? » qui est aussi un « où en es-tu ? » Ce discours énoncé à voix basse avait la tonalité juste et la hauteur spirituelle qui convenait. Mais il a surtout bouleversé les six survivants de la Shoah qui lui étaient présentés en leur embrassant la main. Un de ces hommes à la sortie, le visage en larmes, déclarait : « C’est comme si j’avais reçu le prix Nobel ! » D’aucuns s’attendaient à ce qu’il redise là ce qu’il a écrit dans le livre de dialogue avec Abraham Skorka, à savoir qu’il est favorable à l’ouverture des archives de la guerre par le Vatican. Mais comme dirait Itzhak Minerbi, spécialiste des relations avec le christianisme, si l’Église avait des documents qui montrent que certains dignitaires se seraient conduits mieux qu’on ne le pense, il y a longtemps qu’elle les aurait rendus publics.

4. Il a étonné tout le monde en décidant brusquement de s’arrêter sur son chemin vers l’Église de la nativité, à Bethléem, devant le mur de séparation et de faire une prière silencieuse. Devant les mouvements d’humeur suscités, l’entourage a précisé que le souverain pontife avait prié pour que le mur tombe et que le terrorisme cesse. Ce pape simple, chaleureux, spontané, qui ne s’encombre pas des rigueurs du protocole, qui loge pendant son séjour chez le nonce apostolique, dans une chambre avec un lit et une table de travail et qui a troqué sa papa mobile contre une Hyundai familiale, est en outre un indécrottable optimiste. Il a appelé Shimon Pérès et Mahmoud Abbas à se rendre au Vatican pour prier de concert avec lui. Optimiste ? Comment être optimiste dans cette région du monde ? Et comment être optimiste dans un monde en crise ? Jovial et chaleureux, lecteur d’Henri de Lubac, de Michel de Certeau et de Gorge Luis Borges, farouche défenseur de Vatican II, partisan d’une Église dynamique et capable d’approcher les gens et de cheminer avec eux, il répond : en développant l’espoir, qui jamais ne déçoit. En développant une spiritualité nouvelle. Tout au long de ce voyage, on a vu Shimon Pérès et Jorge Bergoglio côte à côte, se sourire, se rapprocher physiquement, s’embrasser comme deux complices. Et quoi d’étonnant à cette proximité ? Tous deux se veulent des visionnaires. Tous deux sont profondément ancrés dans une tradition mais soucieux de penser le nouveau, d’être attentifs à ce qui vient. Et tous deux restent d’incorrigibles et perpétuels optimistes.

5. Changement de décor. On passe de Jérusalem à Rome. En ce dimanche radieux, François accueille Pérès et Abbas pour une prière inédite. Le président israélien et le chef de l’autorité palestinienne se retrouvent dans les jardins somptueux du Vatican. « On ne prie pas ensemble, on se retrouve ensemble pour prier », dit-on au Saint-Siège. Les représentants juifs, chrétiens, musulmans se succèdent avec des prières en hébreu, en anglais, en italien, en arabe. Les amis argentins de Jorge Bergoglio, le rabbin Abraham Skorka et le professeur musulman Omar Abboud, sont de nouveau de la partie.

Le pape a prévenu qu’il ne s’agissait pas d’une médiation. On savait qu’aucun fruit immédiat n’était attendu pour relancer le processus de paix entre les parties. Et quand même, on se prenait à espérer. Et si la paix venait toujours de plus loin que la politique ?

Le voyage papal fut la seule bonne nouvelle d’une triste saison, marquée par l’atroce tuerie du Musée juif de Bruxelles. Un individu s’introduisait dans le musée par un après-midi ensoleillé du 24 mai dernier, abattait de sang-froid quatre personnes – un couple d’Israéliens, une bénévole française et un jeune employé de la réception – avant de repartir comme il était venu.

Arrêté en France (on lira l’article de Nadège Puljak sur les circonstances de cette arrestation), on découvrait qu’il était français, natif de Roubaix, cette même ville qui est au centre du dernier ouvrage de Gilles Kepel (dont on lira l’entretien qu’il accorde à Macha Fogel pour l’Arche) où il décrit la progression de l’islamisme dans la région et l’essor de ce nouveau type de terrorisme, mélange de trafic de dogue et de salafisme.

On découvrait que c’était un multirécidiviste, qu’il avait fait des années de prison, qu’il s’était radicalisé manifestement au contact de ses codétenus, victime de ce prosélytisme des prisons dont on se rend compte qu’il fait des ravages.

On découvrait aussi les nombreux points communs entre Mérah, l’auteur des massacres de Toulouse et Montauban, et Nemmouche, le tueur de Bruxelles. D’abord parce qu’ils sont tous deux des petites frappes, de cette sorte de délinquants devenus islamistes qui versent tout d’un coup dans le terrorisme.

Mehdi Nemmouche n’a rien dit pendant sa garde à vue en France. Il s’est réfugié dans le silence. On sait malgré tout une chose : il est admirateur de Mérah. Le modus operandi est le même que celui de Toulouse. La tuerie est exécutée froidement, sans l’ombre d’une hésitation, et le tueur porte à son cou une caméra professionnelle destinée à filmer ses propres méfaits. Et puis un détail, dont témoigne le directeur d’une des prisons qu’il a fréquentées : au lendemain du massacre de Toulouse, alors qu’il s’abstenait de regarder la télévision, il a demandé qu’on lui installe un écran dans sa chambre pour pouvoir revoir à loisir son jeune héros parader sur son scooter.

Quand nous disions à l’époque dans ce même journal notre colère devant la complaisance de nos confrères journalistes de télévision, quand nous posions la question : À quoi servent ces images montrées à satiété et en boucle – on reconnaîtra que ce n’était pas illégitime. Voilà au moins un individu à qui ces images n’ont pas échappé, qui s’en est repu au point de refaire à l’identique le parcours de son sinistre prédécesseur.

L’affaire Nemmouche est effrayante. Il n’y a guère que Tarik Ramadan, intellectuel distingué, toujours prompt à s’engager dans de mauvaises causes, qui nous explique sans sourciller – c’était il est vrai avant l’arrestation du suspect, mais on n’a pas entendu notre prêcheur national apporter le moindre rectificatif à son propos – que tout cela sentait le règlement de comptes, et que, sans doute, les deux touristes visés « travaillaient pour les services secrets israéliens ». Attentat antisémite ? M. Ramadan est un homme à qui on ne la fait pas. On ne lui raconte pas d’histoires. « Il ne faut pas nous prendre, dit-il, pour des imbéciles. » Ah bon ?

L’affaire Nemmouche est effrayante, comme l’était celle de Mérah, et plus encore parce qu’elle arrive après celle de Mérah et qu’elle pose le problème des djihadistes français.

Que peut-on faire contre ces djihadistes qui se rendent en Syrie (et dont on apprend que Souad, la sœur de Mohammed Mérah, figure parmi eux) ? Que peut-on faire au départ pour prévenir ? Et que peut-on faire à leur retour ?

Ces questions sont désormais posées. Si rien n’est fait et très vite, alors il y aura fort à craindre que les « loups solitaires » – ou ceux qu’on feint de présenter comme tels – ne se multiplient dangereusement sur le sol européen.

Par Salomon Malka