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Israël

Le jour d’après

Un entretien avec Ilan Cohen, qui a présidé, aux côté d’Ariel Sharon, au désengagement à Gaza.

 

L’Arche : Comment avez-vous vécu ce conflit ?

Ilan Cohen : Ce sont des jours difficiles pour moi et ma génération. Nous étions les premiers à être appelés à chaque guerre et on voit aujourd’hui nos enfants y aller, au lieu d’aller en vacances comme les jeunes de leur âge. Ce n’est pas facile pour nous. Israël n’a pas besoin comme le Hamas de montrer des photos de morts pour crier victoire. Le peuple israélien a surtout besoin, pour reconnaître une victoire, de voir ces tunnels mis hors d’état de nuire. Netanyahou le comprend. Il sait qu’il doit mettre un terme à ce risque. La société israélienne n’acceptera jamais le risque qu’un commando du Hamas utilise les tunnels pour prendre en otage les habitants d’un kibboutz. On a tendance à oublier que la volonté du Hamas est de viser les civils avant tout, comme le font leurs milliers de roquettes sur tout le pays. Pendant ce temps, l’armée israélienne fait tout pour éviter les pertes civiles chez les Palestiniens. Les mêmes gens qui ferment les yeux sur les massacres d’Assad sont souvent ceux qui condamnent aujourd’hui.

Que pensez vous des réactions des différentes chancelleries ?

Les différentes missions américaines font pression sur les parties mais comprennent le besoin vital pour Israël de détruire les tunnels. S’il y a un point optimiste dans cette crise, il est à trouver dans la position de l’Egypte et de l’Autorité palestinienne, qui constituent des intermédiaires fiables. Le Général Al Sissi et Mahmoud Abbas ont montré un grand pragmatisme. Renforcer cet axe stratégique est très important pour la région. Netanyahou s’en rend compte et je pense qu’il va encourager cela dans le futur. Le Hamas a perdu une grande partie de ses infrastructures militaires. Les seuls « signes de victoire » mis en avant par le Hamas sont les photos de civils morts, les missiles qui atteignent Tel Aviv. Il y a un problème de coordination entre la branche militaire du Hamas à Gaza et la branche politique qui se trouve au Qatar, Dubaï et dans les environs. Le Hamas a fait une grande erreur stratégique en refusant le premier cessez-le-feu.

Mahmoud Abbas a-t-il joué un rôle important dans ce conflit ?

Un rôle d’une grande importance. Malgré la durée du conflit et son intensité, on ne voit que très peu de réactions en Cisjordanie. La grande différence entre les deux régions n’est pas seulement que Tsahal peut opérer en Cisjordanie, mais surtout que lorsque les habitants de ce lieu voient la situation économique à Ramallah, qu’ils vivent eux normalement… Cela peut servir d’exemple aux habitants de Gaza au terme de ce conflit, leur montrer que l’on peut vivre autrement. Les ambitions économiques peuvent être bien plus élevées que la situation dans laquelle le Hamas a plongé Gaza. Mahmoud Abbas a ainsi un rôle très important pour le futur.

Israël vient récemment de voir la présidence de l’Etat changer de représentant. Entre Shimon Pérès, un homme qui a consacré sa vie à des efforts de paix qui n’ont malheureusement pas abouti et Reuven Rivlin, un homme de droite, partisan du Grand Israël. C’est un passage de relais symbolique au milieu de la guerre ?

Je connais très bien ces deux hommes. Pendant le désengagement de Gaza, j’ai été amené à travailler avec Reuven Rivlin, un homme très droit. Un désengagement qu’il n’avait pas accepté. J’ai travaillé pendant de longues années avec Shimon Pérès. Je l’admire. Même si Pérès et Rivlin se trouvent sur deux côtés différents de l’échiquier politique israélien, ils savent être des hommes d’Etat. Ils sont respectés par le parlement et la société. Rivlin est conscient, comme l’a été Pérès, que ce poste a une dimension qui dépasse les différences de partis. Je suis sûr que Rivlin aura la même position équilibrée.

Vous étiez aux côtés d’Ariel Sharon pendant le désengagement à Gaza. Vous vous trouviez à Paris avec lui à une fameuse réunion lorsqu’il a répété cinq ou six fois : « C’est difficile. Mais nous allons le faire ! » Que faudrait-il faire aujourd’hui concernant Gaza ? Réoccuper ce territoire ? Y instaurer une zone tampon ?

Je ne crois pas qu’on doit retourner à Gaza. Nous n’avons pas de lien avec les 1,5 millions de Palestiniens qui y habitent. Seuls dix mille Israéliens y résidaient. Il n’y a aucune volonté israélienne aujourd’hui à réoccuper Gaza. Le premier objectif, approuvé aussi bien par la grande majorité des Israéliens et des juifs de Diaspora est de rétablir la sécurité pour la population du pays. D’où la longueur de l’opération pour éliminer le danger des tunnels. Sharon disait lui-même qu’on sort de chaque mètre carré de Gaza pour ne pas y retourner. Mais qu’on réagirait avec une grande force si cela amenait un danger pur la population israélienne. Néanmoins, une opération militaire n’aboutit pas à une solution. Elle peut changer les choses mais n’est pas une stratégie en soi. Je pense que ce serait bien d’arriver à une situation temporaire qui inclurait une démilitarisation d’une partie de Gaza avec des garanties internationales. Mais à long terme, il faut surtout instaurer un Plan Marshall, qui donne espoir au peuple palestinien. Que le système du Hamas qui s’appuie sur la misère et la pauvreté pour radicaliser la population ne soit pas la seule alternative. Lorsque j’étais au gouvernement, j’ai demandé à Sharon de pouvoir mettre sur pied un groupe d’hommes d’affaires israéliens et palestiniens pour proposer un Plan Marshall à Gaza et en Cisjordanie. Malheureusement, ce qui arriva à Sharon à ce moment empêcha la création de ce groupe. Je pense qu’il est indispensable de retourner à la feuille de route. De suivre les étapes une à une, en démilitarisant les milices et en donnant de l’espoir à la population palestinienne. Cela pourra se faire uniquement avec des garanties internationales.

A quoi ressemblera le jour d’après selon vous ? Comment souhaitez-vous qu’il soit ?

Nous nous orientons vers une situation temporaire où chaque côté va essayer d’obtenir des succès tactiques. J’espère que le monde va comprendre que ces tunnels posent un risque inacceptable, que la situation est invivable pour les Israéliens. Je crois que Netanyahou et Abbas, avec leur expérience, vont comprendre qu’ils peuvent arriver à un accord de paix. Que le chemin politique doit être retrouvé, que l’espoir doit être ramené à Gaza. L’économie à Gaza peut être améliorée radicalement, et cela en très peu de temps. Si on avait deux ans devant soi, avec l’aide d’un groupe d’hommes d’affaires israéliens et palestiniens, l’économie doublerait. Si les dirigeants de Gaza comprenaient cela au lieu d’investir des centaines de millions, dont une grande partie provenant des aides internationales, dans des tunnels et acheter dix milles missiles pour les envoyer sur Israël… Le Hamas a essayé de prendre le pouvoir en Cisjordanie mais la population locale a préféré investir dans l’économie et son futur. Quand les Israéliens pourront dormir tranquillement sans craindre que des missiles tombent ou que des commandos émergent des tunnels pour kidnapper des gens et que les Palestiniens pourront sortir de la misère en investissant sur la création d’une société, l’espoir reviendra et prendra une forme concrète.

Ilan Cohen est l’ancien directeur de cabinet du premier Ministre Ariel Sharon.