« L’audience » (éd. Albin Michel), le nouveau roman d’Oriane Jeancourt Galigniani, est inspiré de l’histoire vraie d’une professeure de mathématique jugée en 2011, dans une petite ville du Texas, pour avoir couché avec plusieurs de ses élèves. Les garçons étaient majeurs mais la loi de cet Etat l’interdit. Une plongée saisissante, subtile mais sans fioriture, dans les tourments d’une femme dévorée par ses désirs au cœur d’une Amérique puritaine.
L’Arche : Vous avez voulu raconter l’aberration de la justice américaine ou l’emballement des désirs?
Oriane Jeancourt Galigniani : L’un et l’autre. Comment est-ce qu’on juge les désirs ? Quand j’ai découvert il y a deux ans ce fait-divers, quelques lignes dans un journal, j’ai été extrêmement en colère. Cette femme a été condamnée à cinq ans de prison. Je me suis dit que c’était incroyable, au XXIe siècle, qu’un pays moderne qui est à bien des égards un modèle pour nous, condamne les femmes, comme à l’époque de la Lettre écarlate, comme l’époque des Puritains, pour des raisons de mœurs. Je me suis dit qu’il fallait inventer une histoire qui nous interroge sur cette justice américaine mais qui raconte aussi ce qui avait bien pu se passer dans cette petite ville du Texas, dans la tête de cette femme, qui organise cette espèce d’utopie du désir avec quatre de ses élèves.
La jeune journaliste qui couvre ce procès se demande si « la dévotion aux plaisirs » de Deborah Aunus est « démente ou flippante », c’est la question que tout le monde se pose ?
Oui, est-elle fascinante ou inquiétante ? J’espère que c’est le questionnement du lecteur et comme c’est un procès c’est également la question de notre jugement. On a beau être extrêmement ouvert, on est dérangé par cette femme. Certains l’appellent la « Messaline de province », d’autres la considèrent comme une prophétesse. C’est pour cela que je l’ai nommée Deborah. Dans la Torah, Deborah est l’une des premières prophétesses qui se bat avec les hommes, parmi les hommes, et qui pour cela va être adorée et en même temps va déranger ceux qui l’entourent. C’est ce que je voulais. D’un côté elle est adorée par ces jeunes garçons avec qui elle entretient ces jeux sexuels et de l’autre elle représente un danger.
A l’instar de la procureure qui est une femme assez terrifiante, fer de lance du puritanisme local et qui jubile à décrire dans le détail les rapports sexuels de l’accusée, vous exposez vous-mêmes leurs ébats sans détour. Cet érotisme échevelé était nécessaire ?
Il fallait tout montrer au lecteur parce que c’est aussi un livre sur l’obscénité. Bien que le livre ne le soit pas ! Je voulais que ces jeux sexuels, dont tout le monde parle et que tout le monde juge obscène, soient finalement moins obscènes que le voyeurisme des jurés, de la télévision, de la communauté, du procureure… Je pense que c’est ce voyeurisme-là qui est obscène.
Dans votre précédent roman, « Mourir est un art, comme tout le reste » (éd. Albin Michel), vous vous glissiez dans la peau de Sylvia Plath. Ici le sujet est différent mais la démarche est identique : parler à travers la bouche d’un personnage réel. Cette forme s’impose d’elle-même ou est-ce vous qui vous l’imposez ?
La forme s’impose d’elle-même, et après elle évolue. Au départ il y a toujours une émotion. J’avais été bouleversée en apprenant que Sylvia Plath s’était suicidée après avoir écrit « Ariel », son plus beau livre, et je ne comprenais pas comment on peut écrire un livre aussi essentiel et mourir quelques semaines après. La cohabitation entre la puissance et la fragilité m’intéressait. Ici, quand j’ai découvert le destin de cette femme, j’ai voulu comprendre quel mécanisme s’était mis en place et l’avait certainement dépassé et sacrifiée. Une émotion, une colère, c’est toujours ce qui préside le livre mais ça disparaît petit à petit. Heureusement, parce que si on n’écrit que sous le coup de l’émotion ce n’est pas très bon. Bien que ce soit ça qui donne la force de continuer.