Le grand rabbin de Pologne Michael Schudrich est « ému et fier ». C’est un moment historique. Le Musée de l’histoire des Juifs de Pologne, inauguré ce mardi 28 octobre 2014 par les présidents polonais et israélien à Varsovie, a été érigé sur l’ancien site du ghetto de Varsovie où les nazis entassèrent 450 000 Juifs à partir d’octobre 1940. « Ce sera une nouvelle donne pour les rapports entre Polonais et Juifs », a déclaré le rabbin. « Ces relations n’étaient pas mauvaises, mais elles deviendront meilleures ».
Sans attendre son inauguration officielle par Bronislaw Komorowski et Reuven Rivlin, le musée a déjà attiré plus de 400.000 visiteurs venus assister à différents événements depuis l’ouverture de ses portes en avril. Dessiné par les Finlandais Rainer Mahlamaeki et Ilmar Lahdelma, sa façade en verre est coupée par une grande brèche évoquant le passage de la mer Rouge par les Juifs. « Polin » (« Pologne » et en même temps « Repose-toi ici » en hébreu) est un musée « narratif », selon la directrice des programmes, Barbara Kirshenblatt-Gimblett qui cherche surtout à raconter le passé grâce à des installations multimédias et des scènes de vie ou des paysages urbains reconstitués. Y compris la Shoah. Y compris l’antisémitisme, une réalité indéniable de la vie des Juifs dans toute l’Europe, la Pologne comprise.
L’exposition révèle néanmoins la richesse de la vie juive en Pologne, très souvent méconnue. A la veille de la IIe guerre mondiale, un citoyen polonais sur dix était juif, soit 3,3 millions de personnes. Ils n’étaient plus qu’environs 200.000 en 1945. La création du musée a par ailleurs coïncidé avec un mouvement inattendu de « coming-out » de la troisième génération de descendants des Juifs ayant survécu à l’extermination.
Une pièce de théâtre intitulée « The Hideout » (« Cachette »), mise en scène par un jeune homme de théâtre, Pawel Passini, et dont la première a eu lieu samedi à Varsovie, est composée de brèves histoires de gens ayant passé deux années cachés pendant l’occupation nazie dans un placard ou sous un plancher. »Ils ne sont jamais sortis de ce placard », dit un des personnages. On comprend que les fugitifs, traumatisés à vie, n’ont jamais parlé de leur expérience à leurs enfants ou à leurs petits-enfants. Les Polonais qui les avaient cachés, dont la grande actrice Irena Solska, non plus. Et des jeunes gens, aujourd’hui âgés d’une trentaine d’années, ont commencé à découvrir leurs origines seulement tout récemment. Parfois par hasard, comme ce supporter de foot violent et raciste, qui, découvrant que sa petite amie est d’origine juive, la rejette. Puis ses parents, en l’apprenant, lui révèlent qu’ils sont juifs eux aussi…
Le musée de Varsovie, suscite tout de même quelques controverses – le niveau d’antisémitisme montré est-il conforme à la réalité ? « Il y a de l’antisémitisme ici, comme il y en a malheureusement partout », dit le rabbin Schudrich. Selon lui » son niveau est plus bas en Pologne que dans des pays tels que la France, l’Autriche ou la Hongrie, grâce à l’enseignement du pape Jean Paul II. Et le musée contribuera certainement à le réduire encore ».
Pour Sacha Reingewirtz , président de l’Union des étudiants Juifs de France (UEJF), qui assiste ce jour à cette inauguration internationale, « ce n’est pas comparable, on ne peut pas comparer l’antisémitisme en France et en Pologne , ce n’est pas la même histoire, ce ne sont pas les mêmes populations, cela n’a pas beaucoup de sens. Mais il y a en effet une représentation de la Pologne dans la mémoire juive d’aujourd’hui associée à la disparition des Juifs d’Europe, à une terre perçue comme un cimetière. Et c’est vrai qu’on ne se souvient souvent que de l’antisémitisme polonais. C’est aussi le résultat de l’occultation de 1000 ans de présence juive en Pologne, et c’est bien l’objectif de ce musée que de faire revivre toute cette histoire juive très forte : les apports de la culture juive à la culture polonaise et inversement, l’apport de la Pologne à la vie juive, dans les mouvements de pensées, religieux, artistiques, au niveau politique et cette forme d’émancipation juive qui a pu voir le jour en Pologne. C’est tout cela que ce musée célèbre et cela permet aussi à tous ceux , d’abord dans le monde juif, qui visitent la Pologne de découvrir l’aspect vivant de cette culture, et cette identité positive d’avant-guerre. Mais surtout et avant tout, ce musée va contribuer à permettre à la Pologne d’aujourd’hui, en particuliers aux futures générations polonaises, de redécouvrir leur passé juif qui aujourd’hui les travaille énormément.
Sacha préside une association de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, l’UEJF donc, qui organise (entre autres) de nombreux « voyages de la mémoire » depuis des années, avec des étudiants, des intellectuels, des journalistes, des politiques. Visiter la Pologne, cela fait partie du travail de mémoire : visiter les lieux, les camps d’extermination. C’est une démarche militante et malheureusement, force est de constater qu’un énorme travail reste à faire sur les lieux mémoriels en tant que tels, notamment avec les autorité polonaises, pour les préserver intacts car ces derniers sont parfois mal entretenus ou encore occupés par d’autres habitations, installations…
« Mais lorsque nous allons en Pologne, c’est aussi pour comprendre la vie juive d’avant-guerre, ce monde d’Europe de l’Est ashkénaze disparu. Il y a peu de ressources aujourd’hui pour le comprendre hormis les textes et la tradition juive. Pour nous, ces voyages, c’est aussi donner l’accès au patrimoine juif d’avant guerre. C’est permettre d’offrir cela également à la jeune génération qui est aujourd’hui dans une méconnaissance profonde du patrimoine juif de la Pologne donc de leur propre histoire. Un des objectifs, comme ceux de ce musée à long terme, est d’encourager un dialogue judéo-polonais. Les relations sont pour l’heure froides ou distantes, et l’idée est de les réchauffer pour que ces jeunes générations s’interrogent sur leur passé commun et aient une coexistence commune comme cela a pu se faire pendant des siècles».
Sacha est-il aussi « ému et fier » ? Oui, et enthousiaste surtout de voir qu’en ce jour, 70 ans après la guerre, une nouvelle étape a été franchie dans le travail de mémoire qui lui est si cher. Se remémorer la culture juive disparue et faire en sorte qu’elle soit présente pour les polonais et pour tous. Le dialogue judéo-polonais a peut-être vraiment de l’avenir.
Aline Le Bail-Kremer, Avec AFP.