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Cinéma

Hommage à Ilan Halimi

Alexandre Arcady a réalisé un film sur Ilan Halimi, dont la séquestration et la mort avaient marqué tous les esprits en 2006. Il s’est inspiré du livre écrit par Ruth Halimi et Émilie Frèche, 24 jours : la vérité sur la mort d’Ilan.

 

L’Arche : Comment est née l’envie de réaliser un film sur le drame d’Ilan Halimi ?

Alexandre Arcady : À la découverte de ce traumatisme national, j’ai été, comme tout citoyen français et comme tout juif français, convaincu de l’aspect le plus antisémite et le plus bestial de cette affaire. J’ai pris conscience qu’Ilan a été le premier juif tué en tant que tel en France depuis la Shoah. Et ce, avec une résurgence de la haine et de la volonté de considérer qu’Ilan n’était même plus un homme. C’était un animal, un rien. On retrouve ce même symptôme chez les nazis pendant la guerre. Ce qui m’a frappé le plus dans les révélations policières et judiciaires, c’est de savoir qu’Ilan n’est pas mort de ses blessures. Il est mort parce qu’on ne lui a pas donné à manger ni à boire. Il fallait une puissance de haine, de mépris et de refus de l’autre pour arriver à une affaire comme celle-là. En tant que citoyen cinéaste, il était important pour moi d’apporter une petite pierre comme ces petits cailloux qu’on dépose sur les tombes des gens qu’on va visiter. J’ai eu le sentiment qu’il fallait porter témoignage et laisser une trace. Laisser une trace de cette pauvre vie arrachée à 23 ans parce qu’on a tendance, en France et ailleurs, à se souvenir plutôt des bourreaux que des victimes. J’ai été très touché et ébranlé de voir que beaucoup de jeunes d’aujourd’hui ont oublié Ilan. Mais vous leur parlez de Fofana ou de Mohamed Merah, là leur nom leur évoque des choses. Au départ, je ne savais pas comment aborder une histoire aussi terrible à travers le cinéma. Ma seule certitude était que je ne voulais en aucun cas me placer du côté de ceux qui ont fomenté la chose. Le jour où est sorti le récit de Ruth Halimi, co-écrit avec Émilie Frèche, 24 jours : la vérité sur la mort d’Ilan, j’ai découvert la souffrance d’une femme, d’une famille, l’attente, l’angoisse, l’espoir, le désespoir, l’incompréhension. Immédiatement, j’ai eu le sentiment que Ruth m’avait pris par la main en me disant : « Voilà le chemin qu’il faut emprunter si on veut que cette histoire soit portée à l’écran. » J’ai demandé à Ruth Halimi les droits d’adaptation. Elle m’a donné immédiatement sa bénédiction et son aval. À une seule condition : que l’épisode judiciaire soit terminé.

 

Souhaitiez-vous également mettre en lumière les ratés de la police sur cette affaire ?

On est dans un État de droit, dans lequel on fait confiance à la police. Il faut se souvenir que durant la dernière guerre, beaucoup de Juifs ont justement fait confiance à la police et se sont laissés manipuler par elle. C’est un peu la même chose ici. La famille Halimi est confrontée à un drame, à un kidnapping mafieux. On découvre au fur et à mesure qu’il y a des relents antisémites. La police ne veut pas en tenir compte mais ne ménage pas ses efforts pour autant. Plus de 400 fonctionnaires étaient sur le terrain 24h/24 pendant 24 jours. Reste que le résultat est un échec total, assez grave pour la police judiciaire. Non seulement, on n’a pas réussi à sauver Ilan, mais la police a eu la possibilité d’arrêter Youssouf Fofana à plusieurs reprises. On en découvre les raisons au cours du récit. Ce long-métrage est construit comme un film policier mais c’est une réalité. Ruth Halimi dit d’ailleurs : « Ça m’est arrivé à moi. Ça aurait pu arriver à n’importe qui ». J’ai dû scénariser les situations car on est dans une reconstitution dramatique. Mais rien n’est inventé, tout est d’une précision presque clinique.

 

Comment avez-vous choisi les acteurs ?

En lisant le livre, j’ai pensé à Valérie Benguigui pour interpréter le rôle de Ruth Halimi. malheureusement, dix jours avant le début du tournage, elle m’a téléphoné pour abandonner le film. Elle se savait condamnée. Quand j’ai approché Zabou Breitman, elle a immédiatement accepté d’interpréter ce rôle au pied levé. Valérie nous a ensuite quittés le premier jour du tournage. Zabou est exceptionnelle dans le film. Elle a fait un travail incroyable en s’imprégnant du rôle avec justesse, émotion, délicatesse, sans pathos. On va découvrir une Zabou qu’on n’a jamais vue. Pascal Elbé s’est tout de suite imposé dans le rôle du père d’Ilan, Didier. Jacques Gamblin interprète le rôle du chef de la police judiciaire. Ce n’était pas évident de remplir cette tâche et de jouer quelqu’un qui rate une telle enquête. La psychologue de la Direction du renseignement intérieur, c’est Sylvie Testud qui est plus vraie que nature. Et il y a beaucoup d’autres acteurs encore : Eric Caravaca, Olivier Sitruk, Matthieu Boujenah… En voyant le film, on finit par oublier que c’est un film. On assiste à une page de vie.

 

Et pour le personnage d’Ilan ?

Nous avions un accord : le personnage d’Ilan devait être choisi avec Ruth. Je trouvais ça légitime. Il s’agit d’un jeune acteur d’origine iranienne qui s’appelle Syrus Shahidi. Pour jouer ce rôle, il fallait que ce soit un comédien inconnu du public français afin que l’on puisse s’identifier à lui, que ce soit n’importe qui. Ça n’a pas été évident au départ que Ruth l’accepte. Grâce à la complicité des sœurs d’Ilan qui partageaient mon opinion sur Syrus, Ruth l’a rencontré. Elle lui a dit : « Vous n’avez menti en rien. Et la qualité essentielle d’Ilan, c’est qu’il ne mentait jamais ». Ruth l’a invité chez elle, lui a montré des photos ainsi que le film de la bar mitzva d’Ilan… C’était un rôle difficile parce qu’il fallait être le Ilan qu’on imagine : ouvert, rieur, joyeux, pétillant. Et en même temps, se retrouver à la fin de la tragédie avec 14 kg de moins, mutilé, torturé. Le jour où nous avons tourné à Sainte-Geneviève des Bois, Syrus a d’ailleurs tenu à garder un bandeau durant plusieurs heures parce qu’il voulait retrouver l’éclaboussure de la lumière au moment où on le lui enlevait. Le lendemain matin, il a pris l’avion et il s’est rendu à Jérusalem pour se recueillir sur la tombe d’Ilan. C’est un film avec beaucoup de symboles.

 

Durant le tournage cet automne, un autre symbole est même venu à votre rencontre…

Nous tournions au Palais de justice la scène dans laquelle le procureur annonce qu’il ne s’agit pas d’un crime antisémite selon lui. Au même moment, Dieudonné comparaissait pour incitation à la haine raciale, de l’autre côté de la vitre. C’était assez étonnant. Nous étions en train de reconstituer le visage même de l’antisémitisme et Dieudonné était là, nous narguant. Une situation hors norme. Si on pouvait se poser la question de la nécessité d’un film sur Ilan, la réponse était donnée ce jour-là.

 

Que pensez-vous du projet de film de Richard Berry, également sur cette affaire, basé sur le roman de Morgan Sportès Tout, tout de suite ?

Je ne suis pas gêné du tout. Je me suis élevé d’une façon véhémente lors de la diffusion d’un documentaire sur France 3 concernant la vie de Mohamed Merah. Pour moi, peu importe les explications telles que l’enfance difficile ou le chômage. Rien n’explique la haine. C’est l’homme qui le fait, les antécédents sont à mettre de côté. À ce niveau-là, il n’y a pas de concurrence entre nos deux films car je n’aurai jamais réalisé un long-métrage comme celui qui est en projet. Je pense que donner la parole à ceux qui ont agi de cette sorte, c’est forcément faire preuve d’empathie. On ne peut pas faire un film uniquement à charge. Moi j’ai fait un film sur les souffrances d’un homme, d’une famille, d’une communauté. Et la réhabilitation de la victime, ça c’est très important. Eux veulent faire un film sur cette bande d’écervelés en expliquant pourquoi ils sont arrivés à ça… Je ne me prononcerai pas sur l’utilité d’une telle démarche.

 

La film est actuellement disponible en DVD