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Cinéma

Comprendre, accepter, partager

Les héritiers est un hommage à une institution en péril : l’école.

Pourquoi doit-on s’intéresser au sort d’enfants tuer à bout portant pour avoir commis le crime d’ouvrir un livre en Afghanistan ou au Pakistan ? Qui parmi vous a déjà été dans un de ces deux pays ? Pourquoi des Haïtiens, qui n’étaient pas impliqués dans la Seconde Guerre mondiale, qui n’avaient pas de liens forts avec les juifs d’Europe, ont-ils accueilli des juifs qui fuyaient le nazisme ? Parce qu’ils avaient peut-être plus conscience que d’autres d’appartenir à la race humaine. Ce n’est pas une histoire de bons sentiments, mais de dignité humaine.

Il s’agit du plus beau message véhiculé par le film Les Héritiers de Marie-Castille Mention-Schaar. Élever des enfants afin qu’ils sachent lire, écrire et compter, connaître l’univers et leur propre personne, mais aussi aspirer à une curiosité et une générosité qui risquent de devenir rares. Surtout à une époque où l’on n’a plus le temps. À noter la très belle performance des acteurs, en premier lieu Ahmed Dramé, qui est également scénariste et remporta le Concours national de la résistance et de la déportation avec sa classe de seconde à Créteil.

Dans les années 80, les jeunes apprenaient à utiliser une machine à calculer avant de savoir compter. Dans les années 90, on leur apprenait à se servir d’un ordinateur avant de savoir bien écrire. Depuis le début de ce siècle, on les encourage à maîtriser Internet sans savoir sur quelles fondations ils vont pouvoir asseoir les connaissances trouvées plutôt qu’acquises, et ce qu’il faut faire de ces bribes d’informations.

« J’ai plus de confiance en vous que vous n’en avez pour vous-même » est le message fort de l’enseignante interprétée par Ariane Ascaride. Et ainsi, face à de nombreux obstacles internes et externes, elle réussit à les intéresser au sort d’enfants juifs morts pendant la Shoah. Plus que s’intéresser, s’identifier au sort de ces victimes avec les armes pour empêcher que cela se reproduise, comme ce fut le cas il n’y a pas si longtemps au Rwanda.

Les héritiers, basé sur le livre d’Ahmed Dramé, rend hommage à cette institution qui est la seule garante aujourd’hui de la réussite et de l’indépendance : l’école. Avec tous ses défauts, ses conflits de génération et de références, elle permet encore d’acquérir les armes pour affronter la vie et ceux qui souhaitent la rendre difficile, surtout en temps de crise. Cette histoire est basée sur du vécu, pas sur une volonté de happy end salvateur, mêlant intelligemment fiction et documentaire. Elle redonne sa noblesse au temps qu’il faut pour comprendre, accepter, partager. Pour éviter de tomber dans l’affrontement quotidien entre les éditorialistes qui ont une opinion sur tout, qui se payent leurs « ennemis » en direct et transforment le public en spectateurs. Cela, sur les ondes et le petit écran qui se rapetissent constamment.

Ce film est très important, mais pour qui ? Pour les juifs ? Pour ceux qui ne le sont pas ? Faux débat. L’histoire prouve comme pour Haïti et Shanghaï, comme pour Wallenberg et Schindler, que les choses sont plus complexes qu’on l’imagine et que le message d’Anne Frank qui continuait à croire en l’humanité malgré tout, est loin d’être naïf. Que les combats les plus nobles se font lorsqu’on n’a aucune raison subjective de les mener. Lorsque Simone Veil, à qui le film rend un très bel hommage, se préoccupe des femmes qui meurent à cause des avortements illégaux, elle n’est pas directement concernée et ne craint pas d’affronter les torrents de haines et les menaces et insultes de certains nostalgiques du Maréchal. Robert Badinter, immortalisé par son combat contre la peine de mort, est aussi l’homme qui permit de dépénaliser l’homosexualité dès son arrivée au ministère de la Justice en 1981.

Alors oui, une école de Créteil qui témoigne d’une aussi belle histoire peut se trouver à quelques pâtés de maisons d’une scène antisémite atroce chez un couple de jeunes gens. Mais c’est le défi ne notre siècle : partager les histoires de ces jeunes gens qui sans raison apparente « perdent leur temps » et risquent leur vie pour une histoire qui ne les concerne pas. Qu’il s’agisse de ce que montre le film ou de Mississippi Burning qui raconta l’histoire de ces étudiants, deux juifs et un Noir partis en 1964 dans le Sud afin de se battre pour les Droits civiques et assassinés. Les héritiers d’une histoire dont ils s’emparent, qui est également la leur, n’en déplaise à certains.