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Cinéma

Kaddish pour un ami

Quand les premières images apparaissent, on n’est pas rassuré. On peux s’attendre au pire, que le film fasse appel à tous les clichés possibles et imaginables.
Il est évident que lorsqu’on aborde un tel sujet, celui qu’annonce le synopsis, à savoir l’amitié entre un jeune palestinien et un vieux juif, on a effectivement envie de crier gare.
D’autant plus que les premières minutes ne font pas grand chose pour nous détromper. Le film semble même s’y jeter à corps perdu.
On découvre d’abord une bande de jeunes palestiniens immigrés, car l’action se déroule à Berlin, qui crachent par terre, sont plutôt grossiers et visiblement incultes.
Puis surgit le vieux juif, un brin cynique, vif d’esprit et nostalgique. Bref, un couple que tout semble séparer.
Or, peu à peu, le récit parvient à prendre le dessus et l’on se retrouve engagé dans une fiction agréable, sensée et touchante. Le rythme y est. La musique, poignante et efficace, sert son propos.
Il va sans dire que l’excellent jeu des deux acteurs principaux, ainsi que celui du père autoritaire et inaccessible, y contribue énormément.
Quelle belle découverte que celle de Ryszard Ronczewski, qui incarne avec brio un retraité Russe, veuf, solitaire et têtu. En plus d’avoir la santé fragile, il porte un lourd secret.
Pas une fausse note dans une prestation qui nous offre tour à tour le côté drôle, bougon et attendrissant du personnage. Cet acteur a le don de donner vie aux objets : photo, lettre, dessin, gants de boxe… et de les charger de leur propre histoire.
Il a également quelque chose de Chaplinesque dans l’usage habile qu’il fait de son corps et de son imagination. Il parvient, dans une même scène, à successivement faire rire ou émouvoir.
Tout en sensibilité, le jeune Neil Belakhdar en adolescent introverti, intègre, mais en mal d’appartenance et sous le joug d’un père autoritaire, permet au duo improbable de prendre son envol.
Tout d’abord dans leurs gonds, avec tous les à priori qu’on peut imaginer, les circonstances de la vie vont les propulser dans une découverte de l’autre et par conséquent de soi. C’est là que le réalisateur réussi son pari.
Kaddish, dans sa démarche et de par les situations accidentelles de l’histoire qui vont de mal en pis, n’est pas sans rappeler (dans une moindre mesure car il conserve quelque maladresse inoffensive d’un premier film) Une Séparation, d’Asghar Farhadi ou Ajami de Scandar Copti et Yaron Shani, films qui ont si bien retranscrit ces liens imprévisibles et parfois étranges que tisse la vie et qui nous poussent parfois à parler en terme de destin.
Alexander est-il le révélateur d’Ali et vice-versa ? Thématique qui mérite d’être explorée dans l’art tant que « l’autre » nous sera étranger.
Ce qui rajoute à la symbolique de Kaddish et à son potentiel dramaturgique, c’est que l’action se déroule en Allemagne. What else ?
Tous comme les graffitis, porteurs du message de la rue, qui changent de slogan au cours du film, la réalité à récemment vu deux, puis trois drapeaux se superposer sur le mur de Berlin. Tout d’abord celui d’Israel au drapeau Allemand. Forte symbolique. Peu après, le drapeau Palestinien a été rajouté aux deux autres avec cette inscription : « Who stop the war ? »
Comme le dit si bien Alexander dans le film, « la terre tourne et nous tournons avec elle ». Tôt ou tard au gré des événements de notre vie, nous sommes donc forcés d’abandonner nos idées reçues et nous rendre à l’évidence de ce qui nous unit, plutôt que de ce que l’on croit nous séparer.

Ainsi, un jour nous sommes bourreau, un jour victime, acteur/spectateur, témoin/participant..
Ou comme le disait Shakespeare, nous endossons les âges de l’homme, tous ces rôles que nous incarnons au fur et à mesure de notre vie.
Dans ces temps où les crises identitaires voient des jeunes en mal d’existence basculer, non plus dans une délinquance légère ou passagère, mais dans l’abîme sans retour qu’est le terrorisme, Kaddish pourrait se résumer au postulat plus que plausible de « révélons-nous ce que nous sommes, et voyons tout ce que nous pouvons devenir.  »
Dans un climat plus que morose, Le réalisateur Leo Khasin souffle un vent d’air frais en nous rappelant que le soi s’affirme plus volontiers quand confronté à l’inattendu. L’amour, ou l’amitié, serait-il tout bonnement la meilleure des mauvaises herbes, elle pousse dans les coins les plus reculés et aux moments où l’on s’y attend le moins.

Kaddish pour un ami de Leo Khasin. Sortie le 4 février.