La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
Littérature

Et tu n’es pas revenu : hymne à un père

Elle fait partie des 160 rescapés encore vivants sur les 2500 revenus des camps. Cinéaste, comédienne, auteur, Marceline Loridan-Ivens a été déportée avec son père à l’adolescence. Il a fallu soixante-dix ans à cette femme exceptionnelle pour lui écrire une lettre d’amour bouleversante.

Peu de temps avant, ils s’étaient disputés. Banal pour une fille de quinze ans et son père. Sans doute pensaient- ils avoir toute la vie pour se fâcher et se réconcilier. Entre Schloîme, émigré polonais arrivé en France en 1919 et Marceline, déjà « gauchère et gauchiste » , comme elle se définit , les relations étaient passionnées. Dès Drancy, celui ci la prévient : « Toi tu reviendras peut être, parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas. » Etrange prophétie qui se révèlera juste. Marceline Rosenberg est envoyée à Birkenau en 1944, son père à Auschwitz. Deux enfers séparés par quelques kilomètres mais à une distance impossible à franchir. Pourtant ce père valeureux va s’y employer. Il lui fait parvenir un mot par l’intermédiaire d’un déporté devenu facteur, quelques lignes de soutien et de conseils, dont aujourd’hui encore elle déplore la perte. Et un jour, elle arrive à le croiser sur la route de leur labeur éreintant .Indifférents aux coups qui tombent dru, père et fille s’enlaçent. Plus tard ce père valeureux réussit à lui faire passer une tomate et un oignon, un trésor dans l’ordinaire concentrationnaire. En filigrane, Marceline Loridan -Ivens, raconte le camp avec ses héroïnes, Malla, juive belge, qui s’évada avec son amant, un Polonais résistant, fut reprise et pendue, son amie Françoise qu’elle s’accuse d’avoir laissé tomber, la maman de Simone Veil succombant au typhus.

Au retour, après un séjour à Bergen- Belsen, personne n’attend la survivante au matricule 75750. Sa propre mère ne lui parle pas , sauf pour demander si elle a été violée. Désormais sans âge, Marceline , en conclut « Personne ne voulait de mes souvenirs ». Tuberculose, tentative de suicide, dislocation de la famille, la suite n’est pas heureuse. L’absence du père pèse sur ce récit tendu sur le fil d’une mémoire à vif. « Nous aurions été deux à savoir et même en silence, nous aurions pu diviser le souvenir par deux » La fille éplorée devient une jeune femme enflammée qui cherche à retrouver son appétit de vivre dans les fêtes, les cafés de Saint Germain des Prés, les manifestations et le monde qui offre des lignes de fuite. Avec celui qui fut son grand amour, Joris Ivens, « son Hollandais volant » documentariste de renom engagé politiquement, elle traverse le castrisme, le maoïsme, la guerre d’Algérie et du Vietnam, tous les soubresauts de la société française. Mais le camp et ses fantômes ne sont jamais loin. Avec franchise et en même temps une grande délicatesse, ce feu follet de 86 ans, restée une éternelle jeune fille ( elle a arrêté de grandir à sa déportation ) raconte ainsi n’avoir jamais voulu d’enfant, tant l’idée du corps la bouleverse et la révulse. Plage, piscine, douches, transport en commun, portes fermées lui sont devenues impossibles. Marceline s’en amuse, car longtemps elle a été gaie, même si l’époque actuelle terrifie cette libertaire dans l’âme. Elle vole encore dans les cafés des petites cuillères pour sa grande amie Simone. On peut en effet avoir été Ministre de la Santé et avoir peur de manquer …toujours le camp qui revient. La rescapée a toujours mal quand elle entend le mot « Papa » prononcé dans la rue. « J’ai vécu puisque tu voulais que je vive, mais vivre sans toi me pèse » Un récit grave et léger à la fois, traversé par le souffle de l’amour filial qui lui ne meurt jamais. AB

Et tu n’es pas revenu. Editions Grasset, sortie le 4 février.

Marceline Loridan-Ivens a réalisé le film La petite prairie aux bouleaux avec Anouk Aimée et écrit Ma vie Balagan ( Robert Laffont )