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France

L’ ENIO : une contribution majeure à la culture française

Lorsque les fondateurs de l’Alliance Israélite Universelle – fondée en 1860 – se donnent pour objectif de répandre les bienfaits de la civilisation française parmi les Juifs disséminés à travers le monde, en particulier dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, ils décident assez naturellement de fonder leur mission sur l’éducation. C’est pourquoi, devant leur difficulté à recruter un personnel répondant à leur ambition, ils décident de créer, dès 1867, leur propre école de formation d’enseignants : l’Ecole normale israélite orientale (ENIO). A l’aide d’un examen de fin d’étude, l’Alliance sélectionne parmi les meilleurs diplômés de ses écoles d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de futurs directeurs et enseignants, devant diffuser les idéaux de l’AIU sur leurs lieux d’affectation : l’éducation est un moyen d’assurer « la fusion » entre vie française et vie juive. L’ENIO a alors pour objectif de former des professeurs lettrés, véritables missionnaires de la culture et la langue française à travers le monde, investis d’un idéal républicain et universaliste.

Les décolonisations vont rendre cette action moins nécessaire : les écoles de l’Alliance du bassin méditerranéen ferment les unes après les autres ; l’ENIO perd ainsi une grande partie de sa raison d’être. La guerre des Six jours accélère le processus de « reconversion » de l’ENIO : de nombreuses familles juives se situant dans des pays arabo-musulmans décident d’envoyer leurs enfants étudier en France dans des écoles publiques ou, le plus souvent, dans des écoles juives. L’ENIO élargit alors ses missions : si elle continue de former des enseignants de matières générales et d’études juives, ces derniers ne sont plus exclusivement destinés à exercer leur métier dans une école de l’Alliance (ils peuvent rejoindre d’autres institutions juives). Au milieu des années 1960, l’ENIO ouvre finalement un lycée qui dispense le programme prévu par l’Etat. Elle offre également à ses élèves des cours d’études juives de haut niveau, puisqu’ils sont assurés, entre autres, par Emmanuel Lévinas – directeur de l’ENI0 entre 1946 et 1979. C’est dans cette période que le grand philosophe élabore tous les concepts qui feront date dans l’histoire de la philosophie. Il ouvre la phénoménologie à l’éthique et à la spiritualité, tout en formant des générations d’élèves juifs, intégrés dans la société. Emmanuel Lévinas enseigne aussi bien Husserl et Heidegger que le Talmud. Son apport à la culture française est immense. On ne pourra plus jamais penser Autrui sans faire référence à sa pensée.

L’ENIO ferme en 1995 – également année de la mort de Lévinas – pour renaître en septembre 2014 sous les traits du Collège Alliance ENIO. Le « nouvel » ENIO, comme son illustre prédécesseur, s’inscrit pleinement dans la tradition juive tout en favorisant la citoyenneté républicaine de ses élèves, placé notamment sous l’égide d’Armand Abécassis, directeur de l’enseignement juif de l’Alliance et professeur de philosophie, disciple d’Emmanuel Lévinas.

Le Collège Alliance ENIO souhaite promouvoir une pédagogie du contrat : il s’agit de responsabiliser tous les membres de la « communauté éducative ». Il se veut également à la pointe des nouvelles technologies qui transmettent le savoir sans jamais négliger le rapport à l’écriture et au livre. Son équipe éducative cherche notamment à aiguiser l’esprit critique des élèves, insiste sur la nécessité de se battre contre « l’illusion du savoir immédiat », vise l’excellence sans négliger d’apporter toute l’aide nécessaire aux élèves qui connaissent des difficultés.

Ce nouvel établissement scolaire du réseau de l’Alliance Israélite Universelle s’est donné une mission difficile en reprenant ce nom prestigieux. Les lieux sont les mêmes : rue Michel-Ange, avec la fameuse copie de la statue du Moïse dans la cour, qui continue de veiller de son œil courroucé sur son peuple insoumis. Le bâtiment, quant à lui, est rénové. Mais l’idéal reste le même : enrichir et contribuer à la culture française, donner une « formation à la fois française et juive » comme aimait à le répéter Emmanuel Lévinas. De fait, à l’heure où beaucoup craignent la fin du judaïsme à la française, et du judaïsme en France, cette renaissance aujourd’hui montre que le judaïsme français a encore de beaux jours devant lui.