Sans vouloir être péjoratif, c’est un film plein de bons sentiments. Suite à la projection, les mots qui émergent de prime abord sont : complicité, mémoire et tendresse.
Tendresse, ou celle qui unit le jeune Valentin (Andy Gillet) à sa grand-mère Nina (Alexandra Stewart), d’origine Polonaise. Cette dernière, ne l’ayant pas vu depuis un certain temps, le retrouve à Paris où la force de leur lien nous apparaît d’emblée.
La Duchesse est un récit haut en couleur, au sens propre comme au figuré, car le film utilise un concept de décors artificiels. Il s’agit, ici, de peintures qui ornent la toile de fond. Pourtant, qualifier ces beaux décors d’artifices serait erroné, puisqu’ils suscitent le sens esthétique du spectateur et stimulent son imaginaire.
Ainsi, les protagonistes Nina et Valentin, sont les seuls êtres de chair à se mouvoir dans l’oeuvre que nous propose Joseph Morder, autrement peuplée de voix et de silhouettes bi-dimensionelles.
Le sujet de fond offre un alibi merveilleux, amplement justifié, au réalisateur et à ses collaborateurs pour faire appel à ce processus original. L’art, plus spécifiquement la peinture, nourrit ici la thématique de l’oubli et du souvenir d’une texture nettement plus dense, plus riche, que ne le permettrait un réalisme dépecé de tout onirisme.
Pour ce qui est des personnages, Valentin est un peintre torturé, en mal d’inspiration. N’affirme-t-il pas lui-même, à un moment donné, qu’il se sent détaché du réel ? A son grand désarroi, ses toiles, à l’image de sa vie, ont perdu toute couleur.
Andy Gillet, le regard mélancolique et tout en sensibilité, interprète avec justesse ce personnage d’écorché vif. Oscillant entre empathie pour sa grand-mère, mal-être et perdition lascive, son corps expressif traduit habilement une vie intérieure décousue.
Alexandra Stewart, quant à elle, a su insuffler fantaisie et joie de vivre à Nina, personnage largement inspiré de la mère du réalisateur. Malgré une boîte de Pandore pleine à ras bord, elle célèbre la vie et les petits délices du quotidien, chose qu’elle tente de transmettre à un petit-fils parfois bien trop sombre à son goût. Ainsi, elle l’encourage dans son accomplissement artistique et amoureux.
L’actrice revêt efficacement le masque du silence que portent, malgré eux, survivants en tous genres. Ne laissant percevoir l’origine de son mal que par bribes subtiles.
C’est une belle relation que celle qui peut exister entre certains petits-enfants et leurs grands-parents. Une authenticité du rapport, denué de tout poids, de toute culpabilité. Autrement-dit, cette filialition souvent trop viscérale, forcée, qui relie parent et enfant. Comme c’est le cas de la relation, ou absence de celle-ci, qu’entretient Nina avec son propre fils (le père de Valentin). Tout en confiance, confidence pour confidence, leur rapport est libre et sans attentes. Ce qu’ils se souhaitent, tout au plus, c’est du bonheur.
Cette même sincérité et franchise, permettront-elles, in fine, à la Duchesse d’accoucher de l’indicible ? Face caméra, tout en sobriété… Par la parole, le voile sera ôté sur une zone d’ombres qui peuplent, plus que jamais, sa mémoire.
« Ecris tout et n’en parle plus! », recommendera-t-on à la mère du cinéaste, peu après la guerre. Le cinéaste relève le défi merveilleux de transposer son témoignage et de la libérer de ses chaînes, quelques soixante-dix ans après.
Minuscule bémol, un léger temps d’adaptation aux dialogues très « écrits » qui relèvent parfois du romanesque.
Passé outre, on accepte volontiers la théâtralité voulue de l’oeuvre pour se laisser baigner dans les décors factices et une atmosphère digne des comédies musicales américaines des années cinquante, situées dans le gai Paris.
La Duchesse de Varsovie s’apparente plus au poème. Les adeptes de belles images, bonne musique et autres férus d’histoire pourront ainsi être emportés par une fable aux éléments autobiographiques, dont la pièce maîtresse sont le devoir de mémoire ou l’importance de la transmission.
La Duchesse de Varsovie, de Joseph Morder. Sortie le 25 février.