Pendant des années, j’ai voulu être cool. Je rêvais de participer aux forums altermondialistes, que j’imaginais comme les nouveaux Woodstock. Je me voyais enturbannée d’un boubou, sirotant du mauvais punch tout en m’enflammant pour le sort des paysans d’Amazonie. J’achetais crânement des chips « faucheurs d’OGM » au supermarché bio du coin. Je fumais des joints en fustigeant l’ultra-libéralisme tout en dansant sur Bella Ciao dans des squats branchés du 20ème arrondissement. Je me rêvais en citoyenne du monde, signant les yeux fermés toutes les pétitions Avaaz et trouvant, je l’avoue, que Finkie, l’idole de mon adolescence, vieillissait mal. Je me berçais d’illusions de ce vivre ensemble que je ne voulais pas voir finissant, perchée dans mon 11ème arrondissement métissé où je pouvais m’acheter, pas cher, une bonne conscience de bobo bien peinarde.
J’étais cool. Ou plutôt je désirais l’être de toute mon âme. C’était comme le label ultime de ma moralité d’adulte régressive post -11 septembre qui, index et majeur en V, aimait tous ses frères et sœurs pareil, et aussi leurs voisins, et aussi le bon son, et même ces horribles punch au rhum Lidl.
Le problème, c’est qu’avec les gens cool, à un moment ou à un autre, ça finissait par déraper. Et sans prévenir, au détour d’un air de Zebda, ça blâmait les « sionistes » de tous les maux de la terre, ça postait des photos de terroristes à keffieh sur son profil Facebook, et ça commentait avec fautes d’orthographe « encore cé juifs qui nous emmerde, il faut leur fer payé » (et là, je suis super méga soft, et pas juste question orthographe).
Bref, ça déconnait alter, ça fumait alter, ça baisait alter, ça défendait alter la veuve et l’orphelin, le paysan péruvien, le sans-abri roumain, le sans-papier malien, les femmes afghanes, les ouvriers bengalis et tous les malheureux de la terre. Mais le juif ou le sioniste, attention, j’ai ma moralité, la mondialisation, c’est eux, et regarde le carnage à Gaza, ça se passe de commentaires, et si tu y réfléchis bien, frère, toute la merde dans le monde en ce moment, c’est à cause d’eux. Même Ebola. Ah. Ok.
Grâce aux gens cool, je découvrais avec stupeur que j’appartenais au peuple le plus répréhensible et amoral de l’époque, qui présentait tout de même un avantage certain : celui de fédérer très largement toutes les haines. Sans doute une seconde nature après deux mille ans d’entraînement.
Le problème, et j’en avais plusieurs, c’est que pour moi, sionisme n’avait jamais rimé avec fascisme, ou une quelconque insulte relevant des pires complots, mais avec un idéal. Certes l’idéal s’était terni ces dernières années, mais ce n’était pas seulement le fait des nombreuses guerres menées par Tsahal, c’était aussi plus globalement lié au libéralisme économique (alter, sors de ce corps !) qui, dès les années 80, avait jeté aux oubliettes les rêves de kibboutz et de vie commune, tout en Belle-des-champs version Hava naguila hava, pour des soupes déshydratées, des biscuits sous vide et une course généralisée à l’efficacité.
L’autre problème, c’était de savoir ce que les gens cool pensaient des cortèges qui avaient crié « mort aux juifs » en juillet 2014 dans les rues de Paris. Et là, les avis n’étaient pas clairement tranchés. On aurait presque cru que certains les cautionnaient d’un vague sourire entendu. À moins qu’ils ne finissent par dire, avec la sagacité des futurs anti-Charlie, « après tout, ils l’ont bien cherché ».
Où sont-ils aujourd’hui, ceux qui ont versé de l’huile sur le feu depuis des années, les Chamberlain, les Verts, les NPA, les alter de tous poils, tous les dangereux pyromanes qui se sont acheté une moralité en hurlant leur amour de l’islam et en jetant toute la faute sur les « sionistes » ? Où sont ces français pseudo-bien-pensants qui ont accusé Israël et les juifs de tous les maux depuis trente ans, histoire de laver leur âme des fautes de l’OAS, oubliant au passage celles de Vichy, et qui s’étonnent aujourd’hui qu’une partie de leurs enfants n’aient pas dit « je suis Charlie » ?
Ces gens-là sont tout sauf « cool ». Ce sont des simplistes, des paresseux, des adeptes du slogan, qui ne prennent pas la peine de considérer les choses dans leur singularité et qui, sous couvert de compassion, sont au contraire condescendants pour leurs soi-disant « frères musulmans » et tout autre ressortissant du Tiers-Monde. Une grande partie d’entre eux s’insurgeront qu’on les taxe d’antisémites, mais la plupart ne rechigneront pas à l’adjectif sulfureux, mais pas inélégant au fond quand on y songe, d’antisioniste. Après tout, des centaines d’artistes britanniques viennent de rejoindre le boycott culturel d’Israël, transformant du même coup l’antisionisme en cause cool et chic. Sans doute parce que souhaiter la destruction pure et simple d’un État a quelque chose de festif et de pailleté. Ah. Ok.
Dès lors, puisque les gens cool ne veulent pas de moi, me voici malgré moi projetée du côté des crispés, des rigides, des tendus. Sur le coup, ça m’embête, mais à y regarder de plus près, je me dis que ça tombe bien.
Oui, ça tombe bien, j’ai envie de relire Finkie. Et si je ne suis pas d’accord avec sa frayeur d’Internet, je m’aperçois que cet esprit exceptionnellement brillant a été, pour tout le reste, lu sans nuance par des paresseux en quête de pseudo-débats sensationnalistes.
Ça tombe bien, j’ai envie de défendre Israël, état paria qui ne fouette pas ses journalistes, ne lapide pas ses femmes, ne pend pas ses traîtres, mais qui a l’outrecuidance de se défendre contre des gens qui veulent l’anéantir. Certes il se défend de plus en plus brutalement, et c’est là tout le nœud tragique qui me fend le cœur et mine de l’intérieur la société israélienne. Quand l’ennemi devient barbare, on est contraint de le devenir un peu aussi, au risque de mourir le premier. Quelle démocratie occidentale badigeonnée de morale droit-de-l’hommiste l’en blâmerait ?
Ça tombe bien, j’ai envie de relire l’histoire de France, sa politique pro-arabe cynique de droite comme de gauche (dont un de ses ex-représentants, Roland Dumas, s’est récemment illustré en tenant des propos que n’aurait pas renié Laval), et son violent retour du refoulé de la guerre d’Algérie où, faut-il le rappeler, la France, flamboyante terre des droits de l’homme et du citoyen, n’a pas démérité question tortures et crimes de guerre. Et ferait passer Netanyahou pour le schtroumpf rasta.
Ça tombe bien, ça va m’obliger à ouvrir l’œil car, à défaut d’être aimée (ça, j’en ai fait définitivement mon deuil), je vais dorénavant simplement essayer d’éviter d’être tuée. Et ça, c’est vraiment pas cool.
Article paru le 18 février 2015 sur Jewpop.com, publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et du site.
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