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Cinéma

L’Antiquaire, un film de François Margolin. Rencontre avec un réalisateur engagé.

A voir au cinéma actuellement  : « L’Antiquaire », un film  sur les spoliations d’oeuvres d’art pendant la Seconde Guerre mondiale.

Synopsis : Esther, jeune femme de 30 ans, part à la recherche de la collection de tableaux volés à sa famille, juive, pendant la Guerre. En cours de route, tout en mettant à jour des secrets de famille profondément enfouis, elle redécouvre son père.

François Margolin signe avec ce long métrage un thriller émouvant à la bande originale particulièrement réussie : rien de moins que Bernard Herrmann, le compositeur attitré d’Alfred Hitchcock, Léo Ferré et des standards yiddish, intemporels.

 

L’Arche. – Comment est né ce projet ? Comment s’est faite la rencontre entre les co-scémaristes du film : Sophie Seligmann, Jean-Claude Grumberg, Vincent Mariette et vous-même ?

François Margolin. – Ce projet est né en fait il y a une douzaine d’années, j’avais déjà eu l’envie de faire un film-documentaire sur la question des tableaux volés avec Hector Feliciano, le journaliste américain auteur du livre “Le musée disparu”, qui a un peu levé le lièvre de cette absence de paroles autour des spoliations d’oeuvres d’art qui ont été extrêmemnt nombreuses pendant la guerre et dont on ne parlait plus depuis.

Mais nous avons eu, à l’époque, du mal à trouver des financements, auprès des chaînes de télévision, car le sujet intéressait peu. Et par ailleurs, les gens concernés rencontraient également des difficultés à témoigner sur cette question, avec en filigrane, la peur de se dire qu’ils n’allaient pas récupérer leurs tableaux s’ils avançaient à visage découverts. Ils n’avaient d’ailleurs pas le choix. Nous avons donc laissé tomber ce projet. Quelques années plus tard, il y a 3 ans, en parlant avec Sophie Seligmann, la petite-fille d’un grand collectionneur, et qui est une amie, j’ai écouté le récit de ses propres démarches pour éssayer de récupérer des tableaux. Elle m’a alors fait part aussi de son désir de faire quelques chose sur le sujet. Nous en sommes alors venus à écrire ensemble la première version d’un scénario, en s’inspirant librement de son histoire familiale. J’ai ensuite travaillé avec Jean-Claude Grumberg ( à l’affiche également en ce moment au théâtre avec “L’être ou pas”), puis avec avec un jeune scémariste, Vincent Mariette, et progressivement, nous nous sommes éloignés de cette histoire initiale, si ce n’est que le film se place tout de même dans un cadre familial et que les événements majeurs en sont issus mais beaucoup d’éléments sont vraiment romancés.

 

L’Arche. – Y a-t-il des résistances particulirères  en France, d’un point de vue administratif , juridique, etc., autour de cette question des oeuvres d’art spoliées ? Nous avons tous plus ou moins autour de nous,  des histoires similaires à raconter mais qui peuvent concerner d’autres types de biens. Que se joue-t-il spécifiquement autour des oeuvres d’art ?

François Margolin. – Oui, il se joue quelque chose de particuliers sur les oeuvres d’art car elles ont une valeur absolument considérable. Ne serait-ce que le cas des fameux “MNR” (“Musées nationaux récupération”), c’est à dire les 2000 tableaux étiquettés comme tel après la guerre, récupérés en Allemagne, en Autriche par les américains et transmis aux Français. Ces tableaux ne devaient seulement être placés qu’en dépôt dans les musées de notre pays, et 70 ans après, il en reste toujours 95 % dans ces mêmes musées. Il y a donc une évidente mauvaise volonté d’un certain nombre de personnes dans l’administration de la Culture tendant à ne pas rendre ces oeuvres d’art, appartenant à des familles juives. Il ne s’agit évidemment pas de la globalité de l’administration mais il est vrai que certains empêchent bel et bien ces restitutions. Peu d’oeuvre sont rendues, et au compte-gouttes, souvent sous la pression médiatique ou dans le cadre d’opération de communication. Pour l’essentiel, on dit que “l’on n’arrive pas à identifier les héritiers”. Hors, j’ai personnellement des illustrations précises de tableaux retrouvés par exemple dans les reserves du Louvre, qu’ il suffisait de retourner pour voir le nom du propriétaire et son adresse de l’époque. Avec ces éléments, il n’est pourtant pas très compliqué d’aller à la recherche des héritiers, d’autant qu’ aujourd’hui, les nouvelles technologies aidant, c’est encore plus simple qu’avant. Dorénavant aussi, la plupart des catalogues de ventes des années 20, 30, 40 et 50 sont en ligne, sur de nombreux sites de musées nationaux. L’Allemagne finalement, même en ayant commencé très tard, fait plus que la France en la matière où les moyens alloués sont extrêmement faibles.

 

L’Arche. – Plus de moyens sont alloués ailleurs, dans d’autres pays que la France ?

François Margolin. – Oui, les allemands donc, par exemple, ont commencé bien plus tard que nous,  mais se sont rééllement donnés les moyens afin que tout soit rendu, et qu’il n’y ait pas le moindre doute sur les origines des oeuvres dans les musées. S’il en subsiste un, on recherche les héritiers et non l’inverse. Ces derniers n’ont pas à faire les démarches.

 

L’Arche. – Pourquoi autant de résistance ici ? Quelle en est l’explication ?

François Margolin. – Cela tient à l’histoire de la France avec la communauté juive, qui est compliquée, pour ne pas dire plus. La question de la collaboration pendant la guerre, du statut des Juifs instauré par Pétain, n’a jamais été règlée. Les choses ont commencé à bouger en 1995 avec le discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv, mais des réticences sont toujours présentes. Et là où cette question des spoliations devient très importante, c’est qu’elle met cela tout d’un coup en lumière  : le déni de propriété accordé aux Juifs, le fait qu’ils étaient considérés comme des êtres de seconde zone pendant la guerre et que cela n’a jamais été assumé. Cette question en est la continuité. Et c’est peut-être aussi parce que ces problématiques n’ont pas été réellement prises en main que nous en sommes là aujourd’hui, à se demander si les Juifs peuvent encore rester en France ou pas. Tout vient de question comme celle -là, même si aujourd’hui, nous assistons à une montée d’un antisémitisme aux allures différentes. Toujours est-il que le vieil antisémitisme français, cette vieille haine des Juifs, là depuis très très longtemps ressurgit, et les tableaux n’en sont finalement que le symbole. Il est vrai que des tas de gens ont eu “simplement” leur appartement ou leur machine à coudre qui leur servait à gagner leur vie, volés pendant la guerre. C’est aussi très important. Mais sans doute, ces oeuvres d’art qui ont des valeurs considérables et qui comptent parmi les fleurons de certains grands musées français, sont emblématiques. Que des biens spoliés à des Juifs soient admirés dans des musées est quelque chose d’incroyable !

 

L’Arche. – Avez-vous une estimation du nombre de tableaux encore concernés ?

François Margolin. – On sait qu’il y a encore 1850 “MNR” dans les musées. On sait également qu’énormément d’oeuvres ont été vendues après guerre, plus de 100 000, par les domaines, c’est à dire par l’administration française, dans les années 50 sans que la moindre recherche de provenance ait été faite. Il y avait 10 grandes collections célèbres mais il y avait aussi des familles qui n’avaient qu’un seul ou deux tableaux. Ces dernières familles, il est vrai, s’en occupent peu tant il s’agit d’un parcours difficile : cela demande du temps, de l’énergie, de l’argent, des avocats, et cela relève souvent d’une démarche douloureuse. Ce qui est abérrant, c’est que ce soit aux “volés”  d’entamer les procédures et non à l’administration et aux musées d’être pro-actifs. Malgré les déclarations, cela reste souvent lettre morte de leur côté.

 

L’Arche. – Le ministère de la Culture, les institutions politiques peuvent-elles agir ?

François Margolin. – Aurélie Filippetti a été active sur le sujet malgré des réticences autour d’elle. Ce serait bien que son action se poursuive. Il serait temps par exemple de créer un organisme actif digne de ce nom pour s’en occuper et résoudre cette question une bonne fois pour toute. S’il y avait une réelle volonté politique, cette question pourrait être règlée en quelques années.

 

L’Arche. – Et du côté des associations juives ?

François Margolin. – Il y a eu beaucoup de projections de mon film organisées en partenariat avec des organismes juifs. Je pense qu’il faut faire de la sensibilisation auprès des gens. J’espère que “L’Antiquaire”  y contribuera. Dans ce contexte de remontée de l’antisémitisme, il est vrai qu’il y a des choses plus graves encore à travailler malheureusement, mais cette question devrait pouvoir s’intégrer à beaucoup d’actions. Elle n’est pas très éloignée car elle est un symbole de l’antisémistisme en France. Et puisque nous avons en ce moment des autorités qui ne le sont pas du tout, antisémites, c’est peut-être le moment, l’occasion, d’agir vraiment.

 

« Rien n’interdit de penser qu’il y ait aujourd’hui, dans les collections publiques, des oeuvres qui, bien qu’entrées légalement dans les collections publiques et même vendues ou léguées par des propriétaires de bonne foi, sont d’origine spoliatrice. » (Rapport d’étape de l’Assemblée Nationale publié en 2013.)

Propos recueillis par Aline Le Bail-Kremer

 

L’Antiquaire :

Un film écrit par François Margolin, Sophie Seligmann, Vincent Mariette et Jean-Claude Grumberg, sur une idée originale de Sophie Seligmann.

Avec : Anna Sigalevitch, Michel Bouquet, Robert Hirsch, François Berléand, Louis-Do de Lencquesaing, Adam Sigalevitch, Benjamin Siksou, Alice de Lencquesaing, Niels Schneider, Fabienne Babe, Christophe Bourseiller.