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Cinéma

Le Labyrinthe du Silence

Rencontre avec Giulio Ricciarelli, réalisateur et co-scénariste, avec Elisabeth Bartel

J’avais huit ans lorsqu’un camarade de classe a rapporté une photo d’Auschwitz à l’école. Mon monde s’est écroulé. Enfant, nos parents nous expliquent le concept de bien et de mal, on a une certaine vision du monde… Mais ça ! Je ne pouvais le comprendre, l’accepter. La vérité est que, aujourd’hui encore, je ne peux le comprendre.
Comment cela a-t-il pu arriver ?!!

Surtout dans un pays d’élite intellectuelle, avec des esprits scientifiques, des philosophes…
Parfaitement ! Nous autres appelons l’Allemagne Le Pays des Penseurs et des Poètes. Vous savez, nous avons eu un président, Theodor Heuss, il a dit la chose suivante :  » Cette honte que nous éprouvons face à ce que notre nation a commis, elle ne nous quittera jamais. « 
Ces crimes sont incompréhensibles ! Tout le monde a essayé de l’analyser, des sociologues aux théoriciens politiques…

Peut-être cela ne peut-il être intellectualisé. Comme le dit si bien Shakespeare, l’homme est capable du meilleur, comme du pire.
Même si l’on parle en termes Bibliques, la notion de mal. Une nation qui est perdue… Je n’ai pas de réponse.

Comment l’idée du film vous est-elle apparue ? 
Je cherchais une histoire forte. J’ai co-écrit le scénario avec Elisabeth Bartel, qui en a eu l’idée. Si l’on m’avait dit que je ferai un film sur ce sujet, j’aurai eu du mal à le croire. Mais au fur et à mesure que j’avançais dans mes recherches, je me suis rendu compte que personne n’était au courant de cette histoire, ou bien trop peu. Elle n’avait jamais été racontée. Pourtant il en existe des films ! Et ça, quand on détient une histoire jamais racontée, c’est un trésor pour un réalisateur. Pour la première fois de l’histoire, un pays avait intenté un procès à ses propres soldats. Ce procès fut historique, autant pour l’Allemagne, que pour le monde. Des procès avaient bien eu lieu, mais dans l’autre sens, pour désertion ou refus de coopérer. Un soldat est responsable vis à vis de la loi et de la justice. Aujourd’hui nous prenons cela pour acquis car chaque pays démocratique se doit de suivre ce précepte. Le procès d’Eichmann fut très important, mais il fut conduit par Ies Israéliens et non les Allemands. Comme le disait le procureur en chef Bauer, Des Allemands comparants devant des Allemands.

Une puissance symbolique…
Un moment historique !! Un tournant à cent-quatre-vingt degrés pour la démocratie. Aujourd’hui ça va de soi, mais pas à l’époque.

Il est dur pour certains jeunes allemands d’assumer la responsabilité de leurs aînés.
Il y a des Allemands qui disent, ça suffit, on en a assez parlé. Pour moi, il y a une différence entre la responsabilité et la culpabilité. Si votre père avait tué le mien, et que l’on se rencontrait, je voudrais que vous le preniez en considération. On ne peux pas juste se dire, soyons normaux et faisons comme si de rien n’était. Je pense que ce serait inscrit dans vos os. La seule verité à ce propos est que cela fait partie de notre identité. En tant qu’Allemand, vous y êtes constamment confronté. Maintenant, avec les problèmes européens, les américains pointent immediatement du doigt ou dessinent volontiers la moustache d’Hitler. Regardez, le fait qu’on en parle est la preuve que cela fait encore partie des différentes identités.

Le Labyrinthe du Silence
décrit les efforts de quelques hommes, dont notre protagoniste, au sein d’une Allemagne d’après-guerre, à savoir de 1958 à 1965 (avec l’aboutissement du procès de Francfort en 1963, soit une vingtaine d’années après les faits !), à rétablir la vérité et à ramener les responsables des crimes de guerre devant la justice.
Johann, un jeune procureur idéaliste dont le personnage est basé sur trois figures réelles, se lance dans une mission quasi-solitaire, avec pour seul leitmotiv, les paroles laissées par feu son père, l’exhortant à la justice et à la droiture.
Avec Auschwitz pour dossier entre les mains, il se rend vite compte de la muraille de silence qui se dresse devant lui et des nombreuses personnes qui tentent de le dissuader dans sa démarche. Ayant convaincu une poignée de pairs et, avant tout, un supérieur qui place en lui, malgré son inexpérience, une confiance certaine, Johann endosse sa mission et se retrouve alors au bord d’un gouffre vertigineux.
Une longue quête administrative s’ensuit, d’une part pour recupérer les témoignages des survivants, de l’autre, pour frayer son chemin à travers la montagne de dossiers comprenant les noms de tous les criminels ayant pris part à Auschwitz, pour enfin les rendre à la justice.
Un film didactique et émouvant qui a le mérite d’exister. A voir…