Dimanche 10 mai, à Jaffa, une foule nombreuse a assisté à une cérémonie au cours de laquelle le nom de Joseph Deek qui fut le chef de la communauté arabe chrétienne orthodoxe a été donné à l’une des places de la ville. Des personnalités ont célébré son action inlassable en faveur non seulement de sa communauté mais de l’ensemble de ses concitoyens juifs et arabes. Ce thème a été au centre des discours prononcés par Ron Huldaï, maire de la ville, et Isaac Oron, professeur au prestigieux Institut interdisciplinaire d’Herzlia où Joseph Deek, qui avait dû entrer très jeune dans le monde du travail, a obtenu, peu de temps avant sa mort, une maîtrise en science politique. Ahmad Mashharawi, ancien conseiller municipal, a fait le lien entre son action pour le rapprochement entre Juifs et Arabes et l’atmosphère particulière qui règne dans les villes jumelles de Tel-Aviv-Jaffa. Les représentants de la communauté chrétienne orthodoxe ont également rendu hommage à celui qui en fut le dirigeant d’abord à Jaffa, puis au niveau national. La cérémonie a été agrémentée par les airs joués par l’orchestre des scouts chrétiens orthodoxes, ainsi que par un ensemble de rock oriental.
Un moment particulièrement fort a marqué cette cérémonie : les discours des enfants de Joseph et Nadia Deek, George, jeune diplomate qui a été numéro deux à l’ambassade d’Israël en Norvège puis y fait office d’ambassadeur, et sa sœur, Vera. Le judaïsme est tout à fait étranger au culte des icônes qui est au centre du rituel chrétien orthodoxe. Il ne se nourrit pas de l’adoration des images mais des livres et de leur commentaire infini. En relatant l’affaire du vol des icônes survenu quelques mois avant la mort de son père, George Deek a pourtant mis en avant un fait auquel un Juif ne peut qu’être sensible. Malgré la peine qu’il avait éprouvée alors, son père avait exprimé un vif soulagement en constatant que les livres conservés dans l’église, chose précieuse entre toutes, n’avaient pas été dérobés.
Lors de ma récente interview avec George Deek (L’Arche, mars 2015), nous avions parlé de la complexité des relations entre Juifs et Arabes en Israël, 67 ans après la création de l’Etat. De plus en plus d’Arabes choisissent la voie de l’intégration en prenant une part active au développement de la société israélienne dans les domaines de la culture et des médias, de la recherche scientifique, de la technologie ou du high tech. D’autres continuent, en revanche, à prôner un séparatisme nationaliste en se définissant avant tout comme Palestiniens. Malgré le temps écoulé depuis la « Nakba » et l’exil de centaines de milliers d’Arabes en 1948, le souvenir de cette épreuve reste encore vivace. C’est ce qu’ont montré les récentes manifestations qui ont eu lieu en Galilée le 15 mai, jour de sa commémoration, au cours desquelles ont été brandis des drapeaux palestiniens. Du côté juif, les attentats qui marquent l’actualité, les tensions constantes avec les Palestiniens engendrent un ressentiment bien compréhensible mais difficile à surmonter. Des deux côtés, il reste encore beaucoup à faire en matière d’éducation et d’éradication des préjugés.
Ces faits rappellent que l’existence commune au sein d’une même société est une tâche longue et difficile qui incombe à tous. A cet égard, l’histoire de Joseph Deek est exemplaire. Sa vie a été profondément affectée par l’épreuve qu’a subie sa famille qui a fui, en 1948, Jaffa où elle était installée depuis quatre siècles pour se réfugier au Liban où elle a connu un exil temporaire mais douloureux. Cela ne l’a pas empêché de contribuer à l’épanouissement d’une société où les relations entre Juifs et Arabes ne se limitent pas à une communauté de destin imposée par l’histoire, mais où ils agissent ensemble en se tournant résolument vers l’avenir.