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Pèlerinage en décalage

Un Festival israélo-palestinien se tiendra à Paris le 13 et 14 juin prochain.  La Bellevilloise accueillera la 2e édition de Pèlerinage en décalage, un festival israélo- palestinien d’artiste indépendant. Cet événement a une programmation des plus originales. La première édition était un véritable succès, plus de 1200 visiteurs avaient pu découvrir 25 artistes et 8 disciplines artistiques que ce soit le cinéma, la musique, la poésie, le slam, la danse ou encore la sculpture. L’objectif de ce festival est de présenter les cultures israéliennes et palestiniennes en invitant des artistes talentueux, décalés et à contre-courant. L’Arche s’est entretenu avec les deux initiatrices de ce festival : Inès Weill Rochant et Kenza Aloui.

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Quels sont vos parcours ?

 Kenza : Je suis née au Maroc, j’ai grandi à Rabat où j’ai fait ma scolarité au lycée français. Je suis partie à 17 ans après mon bac pour aller à Sciences Po. Je n’ai pas été particulièrement sensibilisée à la question israélo-palestinienne pendant mon enfance, c’était quand même bien loin, mais j’ai grandi entre plusieurs langues et plusieurs cultures nationales et régionales, c’est quelque chose qui est toujours allé de soi.

Après mes deux années sur le campus de Menton, j’ai passé mon année hors-les-murs obligatoire en échange, à l’université de Tel Aviv, entre octobre 2009 et juin 2010. C’était une année très riche pour moi, en rencontres, en expériences, en découvertes et en voyages.

J’ai presque naturellement enchaîné sur un master de relations internationales à Sciences Po, avec une spécialisation en sécurité internationale et résolution de conflits. Après quelques stages, et une fois mon diplôme en poche, je me suis lancée avec Inès dans l’aventure Pèlerinage en décalage, saison 1.

 Inès. Je suis née à Paris et je suis arrivée à Jérusalem en 1990 à l’âge d’un an, j’en suis repartie en 2007.  À 18 ans, j’ai intégré Sciences Po Menton et j’ai croisé le chemin de Kenza.

Mon père était le correspondant de Radio France à Jérusalem pendant 12 ans, il est rentré en France en 2001. Nous sommes restées avec ma mère jusqu’à mon bac. J’ai ensuite intégré le campus de Sciences Po Paris à Menton où j’ai rencontré Kenza. Je suis partie en année d’échange au Caire où j’ai pris des cours de dialecte égyptien et d’arabe classique au DEAC (département d’enseignement de la langue arabe au niveau universitaire). J’ai ensuite intégré le master Governing the Large Metropolis à Sciences Po Paris, un master d’études urbaines. À la suite de mon stage de fin d’études et de l’obtention de mon diplôme en 2012, j’ai été embauchée à la New Cities Foundation. J’y suis restée un an puis j’ai décidé de monter mon propre projet, ce festival, avec Kenza.  Cela peut sembler un peu tarabiscoté à vue d’oeil,  mais ce festival est la continuation logique de ce parcours où je savais pertinemment que je retomberai dans la marmite jérusalémite d’une manière ou d’une autre.

Comment vous êtes vous rencontrées ?

Nous nous sommes rencontrées pour la première fois sur la promenade au bord de la mer de Menton en septembre 2007. Nous venions d’intégrer le campus de Sciences Po Paris sur le campus de Menton (spécialisation Moyen-Orient – Méditerranée).

D’où vous est venue l’idée de mettre en place ce festival Pèlerinage en décalage ?

Inès. L’idée a fait son chemin lentement mais sûrement. Nous nous étions beaucoup rapprochées durant nos années d’échange respectives, notamment lors d’appels Skype entre le Caire et Tel-Aviv. Durant nos masters et expériences professionnelles, nous évoquions souvent cette envie de monter un projet, à notre sauce. Nous refoulions cette envie car cela paraissait trop fou et nous nous étions mis dans la tête (ou quelqu’un nous l’avait mis) qu’il fallait avoir au moins 3 ou 5 ans d’expérience professionnelle avant de se lancer dans son projet.

Ce que nous avions remarqué durant nos deux années de master à Paris, c’était que les événements sur la question israélo-palestinienne n’étaient pas variés et très binaires: il y avait beaucoup de conférences politiques, avec les mêmes intervenants et les mêmes questions sans réponses. Sinon il y avait le festival du film israélien, la semaine arabe de l’ENS mais aucun événement artistique qui faisait intervenir des artistes israéliens et palestiniens.

En juin 2013, Kenza était diplômée et j’étais libre après mon premier poste. C’était maintenant ou jamais. Nous étions à Rabat pour les vacances et l’idée nous est vraiment tombée dessus en plein déjeuner : “organiser un festival israélo-palestinien”. Nous nous sommes regardées éberlués par l’évidence du concept qui n’existait pas à Paris. Nous avons cogité chacune de notre côté durant l’été, glissant des indices à nos parents et amis. En septembre nous avons passé quatre heures sur nos ordinateurs pour mettre le concept noir sur blanc. Il tenait la route, l’aventure commençait.

Quel est son objectif ?

Inès et Kenza. L’objectif du festival est de remettre en cause les clichés, d’attiser la curiosité et de perturber les repères avec un outil riche, provocant et subtil : l’art.

Les artistes viennent avec leurs projets, leurs performances et leurs expériences, ils apportent du brut, il n’y a pas d’intermédiaire, pas de débat sans fin. Il y a les artistes, le public, un voyage virtuel, un tourbillon d’idées, des questions et parfois des barrières mentales ou blocages divers qui tombent.

On pourrait croire au premier abord que c’est un festival pour la paix mais ce n’est pas ça du tout. Si les artistes veulent se parler, ils se parlent, s’ils ne veulent pas, ils ne le font pas. Le but n’est pas de créer un Oslo III artistique mais de provoquer les curiosités à travers des projets artistiques.

Comment l’avez-vous mis en place en si peu detemps ?

Kenza. Nous l’avons mis en place en neuf mois. Le plus dur était de trouver les moyens financiers nécessaires. Il n’a pas été difficile de contacter les artistes et de les entraîner dans l’aventure. La plupart d’entre eux étaient tout de suite partants, alors que nous n’avions pas de salle et pas d’argent. Nous avons su que le festival aurait lieu à la Bellevilloise en décembre 2013, cela nous a propulsé, ça devenait concret. Nous avons ensuite lancé notre campagne de crowdfunding, avons récolté 6 165 euros en trois mois. Nous avons ainsi pu réserver les billets d’avion pour les artistes et leurs logements à Paris. En parallèle, nous avons commencé à avoir des articles dans la presse et nous sentions que les gens étaient assez emballés par le projet. Avec tout ça, nous étions déjà au mois de mai !

Décrivez nous la programmation de cette 2e édition

Inès. Nous avons gardé le même concept que l’année dernière : les après-midi seront animées par des expositions, des projections, des discussions, des présentations. Les soirées seront consacrées aux concerts. Les nouveautés de cette deuxième édition sont les suivantes : nous avons un espace en plus : le fameux club de la Bellevilloise.  En plus du Forum, il y a des nouveaux arts : la danse contemporaine avec Jasmin Avissar, de la mode avec la superbe collection de Sasha Nassar et de la sculpture avec Osama Zatar (marié à Jasmine Avissar).  Le dimanche soir, les Djs Laissez-Passer organisent une soirée pour clôturer le week-end. Pour cette deuxième édition, le festival dure plus longtemps : 24 heures de performances qui vont êtres répartis sur deux jours.

Quels types d’artistes avez-vous privilégié pour ce festival ?

Kenza. Nous privilégions les artistes décalés, curieux et engagés à leur manière. Mais privilégier n’est pas le bon terme, la sélection se fait de manière assez évidente, le festival cherche des artistes décalés et attire des artistes décalés ce qui tombe bien ! Nous sommes très attachées au format pluridisciplinaire qui permet de proposer un festival à intensité différente dans sa variété de forme et de messages.

Quels artistes participeront à l’événement ?

Inès et Kenza. Il y en a plus 30 ! Vous pouvez regarder le programme qui est ligne sur le site de la Bellevilloise et sur notre site : pelerinageendecalage.com. Nous avons quatre projections et notamment Knowledge is the beginning, un documentaire sur un projet : le West Eastern Divan Orchestra et “This is my Land” de Tamara Erde sur l’éducation.

Nous avons quatre expositions, un défilé de mode, des ateliers “percussions de corps” avec Noa Vax, une session de poésie et musique avec Farah Chamma, une table-ronde cinéma avec Nadav Lapid et Yousef Sweid, six concerts : un duo de musiciens du West Eastern Orchestra, le groupe de rap System Ali qui chante en quatre langues (russe, anglais, hébreu et arabe), Apo and the Apostles, un groupe pop-rock de Jérusalem-Est et le groupe déjanté Boogie Balagan. Bref, un programme qui demandent aux cinq sens d’être en éveil permanent !

Avez-vous eu des difficultés à mettre en place ces rencontres ?

Inès et Kenza. À part les difficultés liées à un petit budget et les contraintes de gestion qui vont avec, absolument pas. Nous avions peur qu’il y ait des problèmes de sécurité ou des débordements divers mais tout s’est très bien déroulé durant la première édition et de manière très spontanée.

Quelle a été la réception du public lors de la première édition ?

Inès et Kenza. Très bonne, nous avons compté plus de 1 114 entrées sur ces deux jours qui n’en étaient pas moins chargés à Paris, et sans véritable publicité, donc c’était une très bonne surprise pour nous. Nous, comme le public, ou les artistes, assistions en direct à ce qui allait devenir Pèlerinage en décalage. Suite au succès de la première édition, nous avons souhaité en réaliser une deuxième, afin d’installer ce festival dans la scène culturelle parisienne, de fidéliser notre public, de s’ouvrir vers d’autres et d’améliorer certaines choses.

Caroline Bancilhon