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Antisémitisme

Les Juifs belges révoltés

 

Il n’est pas nécessaire de brandir une kalachnikov face caméra pour enflammer les médias. Un texte bref et incisif style cinéma-direct peut suffire. Le message « Je suis Belge. Je suis Juif aussi. Dois-je partir ? » diffusé dans un clip vidéo réalisé par le Collectif Dialogue & Partage crée le buzz en Belgique depuis plusieurs mois.

 

A l’origine de ce film, diffusé sur la chaîne Youtube, le sentiment d’abandon ressenti par des Juifs de Belgique suite aux attentats. Ainsi, le samedi 10 janvier, sur les ondes de la chaîne publique belge, le journal d’informations de midi s’ouvrait avec l’annonce suivante: « 12 morts à Charlie Hebdo. 4 morts à l’Hyper-cacher et… 2 bébés morts de froid à Gaza. » Le lien de causalité, simpliste, entre le quadruple assassinat de Vincennes et la mort de ces deux bébés gazaouis a été perçu comme un permis de tuer des Juifs, nourrissant leur sentiment d’insécurité. Choquante aussi, la perversité de la manifestation du 11 janvier 2015. Si, un peu partout dans le monde, des manifestations étaient organisées selon le mot d’ordre « Je suis Charlie », à Bruxelles, l’extrême gauche à la manœuvre instrumentalisa les assassinats de Paris sous le slogan dominant « Ensemble contre la haine. » Le second mot d’ordre de cette manifestation, forte de 20.000 personnes, fut « Freedom of speech » manière de rappeler qu’aux Etats-Unis les gouvernements peuvent adopter des lois pour limiter ou empêcher certains discours (ou des caricatures ?) – entendez « contrairement à la France » !
Au premier rang de la manifestation, des adeptes du boycott d’Israël (y compris académique) aux côtés de Leila Shahid, ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg ainsi que l’ambassadeur de France, probablement mal renseigné. Aucune personnalité pour représenter la communauté juive. Pas plus que l’ambassadeur d’Israël, comme pendant à Leila Shahid. (1)

Plus que les études approfondies, les communiqués, les tribunes dans la presse du royaume, les déclarations de personnalités de la communauté ou les participations à des débats publics, le clip a forcé les spectateurs à regarder l’antisémitisme dans les yeux. (2)
Ah ! La puissance inégalée des images. Le réalisateur, Jacques Zajtman : « Suite à des discussions avec mes amis du Collectif Dialogue & Partage au sujet de ma proposition de clip, nous en sommes arrivés à la formulation : « JE SUIS BELGE, JE SUIS JUIF aussi … DOIS-JE PARTIR ?» Quelques membres du Collectif et d’autres, plus jeunes, devaient dire deux phrases: la première situant leurs racines familiales, la seconde exprimant leur sentiment personnel quant à l’avenir. Seule contrainte : utiliser impérativement le mot « Partir » conformément à leur ressenti : « partir » ou « ne pas partir ! » A mon grand étonnement, chacun présenta un point de vue différent, ce qui donna à l’ensemble une richesse inattendue. En fait, au départ, le projet était bien plus ambitieux puisqu’on voulait le réaliser à l’échelle européenne. Mais les embûches et difficultés rencontrées en chemin nous ont contraints à le limiter au niveau national et à en prendre seuls la responsabilité. »
Pourquoi avoir choisi de participer au clip ? Philippe Ceciora, publicitaire : « La vidéo a permis de parler, de manière originale et intelligente, de notre souffrance à nos concitoyens. Même si je le dis dans le clip, je n’ai pas envie de partir. Mais j’en ai assez de vivre sous protection policière et maintenant militaire. Cette vidéo a créé un électrochoc. On a établi un pont avec nos concitoyens qui nous ont perçus comme des « citoyens comme eux. » Comme eux ? Il est vrai que le plus souvent, pour illustrer des articles consacrés aux Juifs, les médias montrent soit des Juifs à papillotes – nombreux à Anvers – soit des Juifs porteurs du drapeau israélien. Comment donc représenter les Juifs ? Un défi qui demande du doigté.Photo 4-1

Mais le message délivré par le clip ne fut pas immédiatement compris par la presse. Ainsi, il fut d’abord interprété comme une réponse positive à l’invitation lancée par Benjamin Netanyahou à l’adresse des Juifs de Belgique en date du 14 février. Alors que le clip était lancé sur youtube le 11. Un anachronisme qui ne dérange pas ceux qui voient en la communauté juive une alliée objective de « l’expansionisme israélien. » Les préjugés inconscients tels le « Juif- étranger » ont aussi surgi sous la souris de certains chroniqueurs. Ainsi l’éditorialiste en chef du quotidien Le Soir écrit le 16 février : « Il est insupportable que cette question du retour en Israël et du départ des Juifs d’Europe soit posée. » Le retour ? Pourquoi parler de retour à des Juifs nés ici ? Faut-il y voir une référence à l’origine lointaine des enfants d’Abraham, cet ebréi de l’autre rive déterminant leur citoyenneté ? Cette perception du Juif comme étranger – même pour des journalistes non suspects d’antisémitisme comme c’est le cas ici – ne renvoie-t-elle pas à cette part de mystère, cette étrangeté que chacun porte en soi et que le Juif incarne tel un miroir de l’autre ? Ainsi qu’en atteste le titre de l’éditorial : « Vous êtes nous ! » Ce « nous » enfoui que vous, Juifs, nous révélez et que… nous ne voulons pas voir ?

Une autre idée récurrente, exprimée également dans la conclusion du même éditorial : « que la politique israélienne actuelle est partie prenante dans cette « haine de l’autre ». L’intellectuel Alain Mihaly dénonce ce tropisme israélo-palestinien : « Si on défend, à juste titre, l’idée que les crimes des islamistes ne peuvent justifier l’islamophobie, en quoi la politique israélienne justifierait-elle l’antisémitisme et donc l’assassinat des Juifs ? Ce n’est donc qu’en déconnectant l’un de l’autre que l’antisémitisme pourra être combattu. »
Cet antisémitisme du 3è type, comme le nomme Marie-Cécile Royen dans son dossier publié dans l’hebdomadaire Le Vif du 15 mai dernier « Les Juifs de Belgique : Pourquoi ils restent ? » est une passion belge – peut-être même européenne. Serge Pahaut, sociologue, s’insurge : « De nombreux peuples ont tenté de construire un État sur base d’une lutte nationale. Ont-ils tort ? Non. Tout est-il parfait dans les constructions politiques précaires qui ont surgi ensuite? Non, chacun le sait. Mais la question est-elle là ? Quel rapport avec le message que nous adresse le petit film dont on parle? Aucun.

Cet antisémitisme 3.0 est également renforcé par une politique communautariste aux effets désastreux. Ainsi, à Molenbeek, une des 19 communes belges qui composent la capitale. Un communautarisme abreuvé aux théories conspirationnistes rappelle Sarah Turine, Echevine de la jeunesse, de la cohésion sociale et du dialogue interculturel (Ecolo) dans la nouvelle majorité libérale-écolo, installée depuis les dernières élections à Molenbeek: « Suite aux « émeutes », début des années 90, on a pris conscience que certains quartiers avaient été abandonnés par les édiles municipaux. On y avait pratiqué une politique d’assistanat « du pain et des jeux » visant exclusivement la paix sociale, mais laissant prospérer les théories du complot – le fameux complot judéo-maçonnique – ainsi que les replis identitaires et religieux, source de tensions dans les quartiers, dans les écoles. Ce que l’ancien maire (PS) n’a jamais voulu reconnaître. Sous prétexte que cela donnait du grain à moudre aux islamophobes. C’était, selon moi, une vision paternaliste que l’on paie cher aujourd’hui. » Molenbeek ou le petit Maroc selon la journaliste Hind Fraihi dans son livre « Infiltrée parmi les islamistes radicaux » (ed.Pire) et qui, en 2006, donnait déjà l’alerte sur ces jeunes influencés par la propagande islamiste et tentés par l’aventure jihadiste en Syrie. Certains s’y rendront et en reviendront avec la mission d’organiser des attentats sur le sol belge. Déjoués à temps mais au prix d’une sanglante confrontation armée à Verviers, peu après les assassinats de Paris. C’est à partir de ce moment-là, et non après la tragédie du Musée Juif qui a fait quatre morts, que d’importantes mesures de sécurité furent prises. Yvan Mayeur, bourgmestre de Bruxelles (PS) : « Depuis Verviers, l’alerte a été relevée en Belgique au niveau 3. En plus de la police et de la gendarmerie, 70 militaires ont complété le dispositif pour Bruxelles. Tous les lieux à caractère juif sont sous haute surveillance ainsi que de nombreuses personnalités de la communauté juive. Nous travaillons aussi sur le plan pédagogique. Après la tragédie du Musée Juif, je me suis rendu avec tout le Collège des Echevins au lycée Dachsbeck, (ndlr.un lycée autrefois très fréquenté par les Juifs laïcs et connu pour les actions clandestines de la Résistance aux nazis). On y a lu, comme dans toutes les écoles de la Ville, un texte appelant au respect de l’autre. Il ne fut signalé aucune perturbation lors de la minute de silence. Quant au clip, pourquoi parler de quitter un pays où les Juifs ont toute leur place ? » Si les autorités sont le plus souvent sur la même ligne qu’Yvan Mayeur, il n’en est pas moins vrai que les incidents antisémites se multiplient. (Lire les informations sur LBCA.be)

Des commentaires à propos du clip évoquent la mauvaise foi ou la paranoia allant jusqu’à désuhumaniser les victimes de l’antisémitisme commente Serge Pahaut. Alors que le clip exprime le refus de personnes de se laisser terroriser en silence. Si une personne de famille tutsie, arménienne ou kurde se dit menacée à Bruxelles, on ne va pas l’accuser mais l’aider.

Le clip fut aussi interprété comme une invitation à fuir, notament par les Juifs diasporiques. (3) Fuite ? « Mais c’est parce que je ne veux pas partir que j’ai participé au clip ! » déclare Yvette Kanarek, blogueuse sur L’Obs. Mais que vaut cette vérité si le discours est sursignifié ? Si, comme l’observait Roland Barthes dans les « Mythologies », le lecteur – spectateur réécrit le texte, qu’importe l’intention de l’auteur ? »

S’il s’agissait de partir, on aurait pu parler d’exil et le royaume. Mais n’est-ce pas plutôt de révolte dont il s’agit ? En insistant sur leur appartenance à la société belge, les Juifs appellent celle-ci à réagir et à se solidariser. « Je me révolte, donc nous sommes. » Autre clin d’œil à Camus. Nous sommes, oui, mais ensemble, Juifs et non Juifs pour affronter les défis qui s’annoncent. Un défi que le duo SamTouzani et Rolland Westreich a relevé dans un livre à deux voix « Roman d’un film à venir » (L’Harmattan) dont une pièce de théâtre est en préparation. L’urgence de projets pédagogiques s’impose ! La peste émotionnelle en est un. L’observatoire des médias en est un autre. (Lire ci-dessous) et, d’urgence, la fermeture des chaînes satellitaires, vecteurs de haine ainsi qu’une déontologie d’Internet. Mais aussi la fin des stratégies individuelles ou claniques au sein de la communauté juive de Belgique qui, avec le CCOJB (Crif belge), vient d’élire son nouveau président, Serge Rozen, un homme conscient et engagé.

http://larchemag.fr/2015/06/05/1687/les-defis-de-serge-rozen-president-du-ccojb/

(1) Simone Suskind, connue pour son engagement dans le dialogue israélo-palestinien – elle vient d’ailleurs d’organiser un voyage avec des élèves bruxellois en Israël et en Cisjordanie – y était à titre personnel. Et le Cclj, invité après coup, a refusé de cautionner une manifestation aux mots d’ordre ambigûs. (2)http://www.controverses.fr/pdf/n11/kotek11.pdf (3) Point Critiques 29 mai 2015.