Patrick Petit Ohayon est le Directeur de l’Action scolaire du Fond Social Juif Unifié.
L’Arche : Comment se présente la rentrée prochaine sur le plan des écoles juives ? est-ce vrai que les effectifs vont probablement baisser ?
Patrick Petit Ohayon : Evidemment on n’a pas de chiffres certains aujourd’hui. On a de plus en plus de parents qui finalisent l’inscription de leurs enfants très tardivement. On a donc des tendances par rapport aux effectifs. La prévision est à la baisse. L’année dernière, les départs de l’école juive vers l’étranger ou vers les écoles non juives avaient été contrebalancés par l’arrivée d’élèves des écoles publiques notamment et des écoles privés non juives. Il y a deux phénomènes qui vont concourir à la baisse. Un, l’augmentation des départs probablement de 10 à 15 % et d’autre part le ralentissement des arrivées des élèves du public. Donc on devrait se retrouver avec une baisse au niveau des effectifs, là aussi c’est une approximation, mais qui pourrait être de l’ordre de 500 à 600 élèves au plan national.
L’Arche : Une baisse de 500 élèves entre la rentrée 2014 et 2015 ?
Bien sûr, cela demande à être vérifié, on n’a pas toutes les informations. Ce sont les éléments de l’enquête qu’on a réalisée au mois de mai donc bien évidemment entre mai et septembre il se passe beaucoup de choses. Mais a priori, on s’oriente vers une baisse. Ceci représente une baisse de 6 %. Ca reste donc tout à fait gérable, cette baisse d’effectifs s’inscrit également dans des déplacements de population. C’est-à-dire des gens déménagent, changent de quartiers, de départements. On risque donc d’avoir des établissements en difficulté plus importante que si on avait simplement la baisse de 500 élèves parce que 500 sur 32 000, dans l’ensemble on est à un pourcentage tout à fait raisonnable.
L’Arche : Donc cette déperdition est due à la fois à l’alya et à des déplacements de population vers d’autres écoles ?
Oui, soit d’autres écoles, soit d’autres quartiers. Par exemple en Île-de-France, il y a un déplacement de population depuis déjà trois ans, en direction du nord ouest soit 17e, 16e, 92. Et on voit bien que d’un autre côté, il y a une baisse de population dans les banlieues nord de Paris, dans le 18e, dans le 20e. Le 19e s’est à peu près stabilisé mais on note maintenant une diminution assez significative dans le 93. Par contre, le 94 est plutôt en augmentation. La difficulté par rapport à nos établissements c’est que la où vont les populations qui se déplacent il n’y a pas toujours de places disponibles dans les écoles juives. Donc tout cela concourt à une baisse.
Par exemple, aujourd’hui on veut aller dans le 92 à Maïmonide mais l’établissement ne pourra accepter que l’équivalent du nombre d’élèves qui vont les quitter parce qu’ils font leur Alya ou qu’ils partent pour l’étranger. L’établissement est à saturation et un autre établissement ne peut pas se construire comme ça du jour au lendemain. Dans le 16e, les effectifs augmentent au premier degré et en second degré. Donc il y a une situation complexe qui est à la congruence de plusieurs phénomènes. L’Alya, les déplacements de population, un moins grand nombre venant du public car ce n’est pas simple de passer de l’école entièrement gratuite à une école juive. Et puis aussi le fait que parfois ils arrivent dans des zones géographiques où actuellement il n’y a pas suffisamment de place dans les écoles. Tout ceci conduit à la baisse des effectifs.
L’Arche : Confirmez-vous qu’il y a aujourd’hui un regroupement des écoles à Marseille notamment ? Les 3 écoles se regrouperaient en une seule entité ?
Oui, elles vont se regrouper, mais pas sur le même site. Mais c’est vrai, on l’avait déjà organisé sur Nice. On est en train de faire ça dans d’autres régions. L’année dernière, à Nice nous avons tout réorganisé. On a modifié la carte scolaire en essayant de la rationaliser. C’est-à-dire, il y avait deux lycées, maintenant il n’y en a plus qu’un. Il y avait trois collèges, il n’y en a plus que deux. On a donc organisé les structures de manière différente. Sur Marseille, il y a bien le rapprochement de l’école Yavné qui est dans le nord de la ville et qui se retrouve en difficultés ces dernières années en terme d’effectifs. Il y a un rapprochement avec le Gan Ami, qui est un établissement en centre ville, proche du quartier juif actuel. Par ailleurs, il y a une école primaire de La rose qui était en grande difficulté au niveau économique, qui va se rapprocher de Yavné. On va garder deux sites essentiellement, celui de Yavné et celui de Gan Ami. Cela afin de créer des complémentarités et des solidarités entre les structures. Gan Ami a des effectifs qui augmentent, les deux autres ont des effectifs qui baissent et donc comme ce sont des établissements de projets similaires on va avoir un seul chef d’établissement, qui est M. Zenou, directeur de Gan Ami. Il aura la responsabilité de l’ensemble de la structure. Il va y avoir un adjoint sur le site de Yavné, car c’est un site moderne mais qui aujourd’hui du fait de sa localisation a une baisse d’effectifs important.
L’Arche : Le regroupement des trois se conjugue avec une baisse générale des effectifs, on est bien d’accord là dessus ?
Baisse générale sur Marseille absolument, et ça se conjugue aussi dans la baisse nationale. Mais ça ne veut pas dire que tous les établissements baissent parce qu’on voit bien que leur localisation reste importante. Sur Marseille, on a notamment perdu à la dernière rentrée 160 élèves.
L’Arche : Pour la prochaine rentrée, Quelles sont vos estimations ?
C’est difficile à dire régions par régions, mais probablement que cette perte va continuer dans les mêmes proportions.
L’Arche : Est ce que les élèves, les parents d’élèves, le corps enseignant a pu souffrir des mesures de sécurité militaire dans les écoles, en général, à Paris et dans les régions ?
C’est une souffrance psychologique parce que ça reste problématique et non naturel de devoir conduire les enfants à la maternelle jusqu’au lycée dans une école gardée par des militaires. Ca a nécessité des éléments de réorganisation des rythmes scolaires et parfois des décalages des entrées et des sorties des élèves. Mais c’est vrai que ça reste préoccupant. En même temps c’est rassurant parce que ça veut dire que ces lieux sont des lieux éminemment protégés d’une agression. On voit bien finalement depuis le drame de Toulouse, le renforcement de la protection qui s’est encore accru avec le drame de Vincennes. On a vraiment des établissements tout à fait bien gardés dont on va augmenter les dispositifs physiques de sécurité des bâtiments et pour lesquels on va ajouter des caméras de surveillance. Tous ces éléments là font que l’école juive se retrouve comme une place forte, c’est à la fois rassurant d’avoir cette présence militaire et ils sont très bien accueillis. Et en même temps, ça reste préoccupant pour un juif en France de se dire qu’il ne peut pas aller à l’école ou dans une synagogue sans avoir besoin de bénéficier d’une protection militaire.
L’Arche : Cette protection militaire ne concerne que les écoles juives ? Il n’y en a pas dans les écoles confessionnelles générales, comme les écoles catholiques.
A ma connaissance, la protection au niveau national sur les sites rattachés aux religions concerne les écoles juives, les synagogues, certaines églises, certaines mosquées et certaines institutions religieuses considérées comme sensibles. Je ne crois pas qu’il y ait de protection militaire devant les écoles catholiques ni devant les écoles musulmanes.
L’Arche : Quelles sont les relations aujourd’hui avec l’Education Nationale ?
Elles sont plutôt bonnes. Il y a une compréhension, il y a un partage de nos préoccupations. Les relations avec le ministère de l’Education Nationale se font dans un bon climat. Il y a une compréhension de nos besoins de nos évolutions. Quand je dis évolution c’est souvent la restructuration, la nécessité de fermer des classes et d’en ouvrir ailleurs. Il nous accompagne sans nous pousser de manière autoritaire à fermer telle ou telle classe. Ils comprennent bien qu’un établissement scolaire c’est quelque chose de sensible. Que l’adhésion des parents aux établissements scolaires c’est quelque chose de volatile. Donc lorsqu’on fait des restructurations, il faut les faire le plus possible en douceur, en accompagnant, en faisant les choses progressivement d’année en année. Dans tout cela, on rencontre de la part du Ministère et des académies une compréhension et un accompagnement dans notre restructuration nécessaire.
L’Arche : Sur ce point, avez-vous déjà été confronté à une poussée de la laïcité, une sorte de menace ou de risque pour l’école juive ?
Non mais en même temps personne de sérieux ne veut rallumer la guerre de 1984 de défense de l’école et voir les personnes de l’enseignement catholique, musulman et juif descendre dans les rues des grandes villes de France. C’est quand même 20 % des effectifs d’enfants scolarisés en France. L’école publique aujourd’hui n’est pas en mesure d’accueillir ces 2 millions d’enfants qui sont scolarisés dans l’enseignement privé. Qu’il y ait des poussées ici, ou là de laïcité on l’entend, mais on n’a pas eu a le subir en direct sur aucun sujet ces dernières années.
L’Arche : Comment réagissez vous devant tous les nouveaux programmes de Najat Vallaud-Belkacem ? Est-ce que l’enseignement juif est touché d’une manière ou d’une autre ?
Oui, il est touché de la même manière que les autres. L’enseignement juif est majoritairement sous contrat, il est touché par les programmes, par l’organisation générale de l’enseignement. Car ces réformes s’appliquent à toutes les structures qui sont sous contrat d’association. La liberté d’enseignement privé sous contrat c’est la liberté de l’organisation de la vie scolaire. Mais pas la liberté au niveau des programmes et des contenus. Même dans l’école privée hors contrat d’aujourd’hui, il y a le socle commun de compétence et de connaissance qui s’impose. C’est à dire qu’un enfant en fonction de sa tranche d’âge doit avoir un certain nombre de connaissances et de compétences similaires à un enfant scolarisé dans le public. Dans l’organisation générale des études liée à la réforme des programmes et de l’organisation du collège, l’enseignement privé sous contrat est totalement impacté.
L’Arche : Rien ne vous inquiète dans ces nouveaux programmes, la disparition du grec et du latin dans les écoles juives en France ?
Nous n’avons pas de grec ni de latin au programme. Mais c’est vrai qu’on avait développé des classes bi-langues avec l’anglais et l’hébreu à partir de la sixième. Ca va être un petit peu remanié puisque dorénavant ça va commencer en 5e, ça aura un impact. Mais c’est pas la disparition de l’hébreu c’est juste qu’en 6e l’hébreu va repasser dans le cadre d’un enseignement hors contrat. C’est quelque chose qui va se mettre en place à la rentrée 2016, donc nous avons un an pour nous préparer. Le reste, l’enseignement juif n’a pas de position particulière par rapport aux contenus, on laisse les chefs d’établissement et les enseignants réagirent en direct. Chacun est libre d’avoir une appréciation sur les contenus et sur leur organisation.