Shira Geffen signe le portrait croisé de deux femmes.
Sept ans après la consécration de la Caméra d’or pour Les Méduses (Medusot), écrit et coréalisé avec son mari l’écrivain Etgar Keret, Shira Geffen signe, seule cette fois, son second long-métrage Self Made (Boreg), présenté à la Semaine de la critique au festival de Cannes en 2014. Poursuivant la veine du réalisme magique, la réalisatrice israélienne nous livre le portrait croisé de deux femmes vivant de chaque côté du mur de séparation et qui, par un concours de circonstances insolites, vont être contraintes de vivre la vie de l’autre.
Michal (Sarah Adler) est une artiste conceptuelle renommée, en Israël comme en Allemagne. Brutalement réveillée par l’écroulement de son lit, elle souffre d’une amnésie temporaire. Le bouton de fonctionnement de sa machine à café ? Les déplacements de son mari ? Leur anniversaire de mariage ? Elle a tout oublié.
Alors ne lui demandez pas qui elle est. Pas à pas, nous découvrons des pans de son identité, tandis que défilent à son domicile à Jérusalem une photographe venue pour une séance en vue du projet « Cinquante femmes influentes », un chef cuisinier qui amadoue des crabes en leur jouant du violon, une armée de livreurs de meubles en kit parmi lesquels Etgar Keret. Michal est une féministe affirmée, radicale, créatrice d’une œuvre provocatrice : avoir des enfants est égoïste – « Je ne veux pas d’enfants, je veux un lit », hurle-t-elle au téléphone lorsqu’elle en commande un nouveau –, aussi s’apprête-t-elle à exposer son utérus, transformé en sac à main, à la Biennale de Venise.
Loin de cette sphère, Nadine (Samira Saraya), ouvrière palestinienne, se rend chaque jour à l’usine Etaca, un ersatz d’Ikea, où elle est chargée de remplir des sachets de vis, dont une partie finit dans ses poches, pour les semer, comme le Petit Poucet, et retrouver son chemin le soir. Passage obligé sur son trajet : le checkpoint ou le summum de l’absurdité ordinaire, qui sourd dans toutes les saynètes du film. Excès de vigilance, une jeune soldate soupçonne son câble de lecteur MP3 d’être relié à une bombe, et lui arrache violemment. Un geste pas si déplacé quand nous savons que son voisin activiste l’a désignée pour un attentat-suicide.
Pourtant Nadine ne faisait qu’écouter du rap à tue-tête, les écouteurs vissés dans les oreilles, sous son hijab. Le décor stylisé et les scènes minutieusement chorégraphiées sur le thème musical récurrent de Fantasia révèlent mieux encore, et avec poésie, les aberrations de l’administration des postes de contrôle, dont Shira Geffen est familière.
Sous le fantastique décalé, au cœur de cette comédie, se mêle une réalité politique brutale. Les deux femmes, dont les destins sont mis en parallèle, échangent leurs vies, sur un malentendu après un contrôle de routine au checkpoint. Aucun point commun. Aucune ressemblance. Mais personne ne réagit, pas même leurs proches. Absentes à leur monde – en atteste leur regard absent appuyé par la mise en scène –, elles y échappent volontiers pour embrasser l’identité de l’autre.
À la frontière, poreuse, entre réalité et imagination, le film de Shira Geffen met à l’œuvre un processus psychologique, mais questionne surtout l’identité sous ses acceptions multiples et sa dimension politique inhérente dans un pays tel qu’Israël. Self Made, ou la construction d’un lit, d’une identité, et d’un pays. Et il n’y a pas plus retors qu’une notice d’Etaca.
Self Made de Shira Geffen. Sortie le 8 juillet.