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Musique

John Zorn, au bout de la musique

Octobre 1992, à Munich, a lieu le « Festival for Radical New Jewish Culture », un programme concocté par le saxophoniste new-yorkais John Zorn. Ce festival réunit des musiciens new-yorkais issus de la scène downtown, qui ont pour point commun d’être juifs… égarés… et dont le judaïsme est en questionnement.

C’est à Munich, dans la ville-berceau du régime Nazi, que le collectif de musiciens, jouent la pièce maîtresse de ce que sera la Radical Jewish Culture. La nuit de 1938, où les SS détruisirent vitrines et synagogues, s’incarne alors en une pièce musicale aux limites du supportable : Kritallnacht. Expérience aussi unique que traumatisante, Kristallnacht est une pièce avant-gardiste, expérimentale, et Radicale.

Accompagné par David Krakauer, Frank London, ou encore Marc Ribot, John Zorn et le collectif de musiciens plongent ce soir-là, pendant six heures d’affilé, l’auditoire dans une ambiance irrespirable. Sur scène, tous les musiciens ont confectionné une étoile jaune qu’ils arborent sur leur veste et, lors d’un insoutenable second mouvement « Never Again », on entend des bris de verre et des sons de saxophone assez stridents pour donner la nausée.

Tel un croisement entre le Free Jazz d’Ornette Coleman et les premières expériences industrielles oppressantes d’Einstürzende Neubauten, la musique de Kristallnacht marque la naissance du mouvement artistique. Une pièce-manifeste qui donne le coup d’envoi de la Radical Jewish Culture.

Au lendemain de ce festival fondateur, John Zorn crée Tzadik, son label qui ressemble autant à un laboratoire de la Radical Jewish Culture qu’à une constellation de musiciens rebelles.

Puis c’est au sein du groupe Masada, dont le nom symbolise l’esprit de résistance du peuple juif, que cette interrogation des racines juives trouvera le lieu de son accomplissement. Pour ce quartet formé de Dave Douglas à la trompette, Greg Cohen à la contrebasse et Joey Baron à la batterie, John Zorn développe un répertoire spécifique, de plusieurs centaines de thèmes qui forment une matière de songbook et fait appel aux gammes et inflexions propres aux musiques juives. La plupart des thèmes composés pour Masada puisent leur inspiration directement dans des standards déjà existants de la musique Klezmer. Entre 1994 et 1998, John Zorn enregistre une dizaine de disques qui ont pour titre respectif les dix premières lettres de l’alphabet hébraïque d’Aleph à Yod. Le quartet Masada est un groupe à géométrie variable, dont les musiciens et les et les modes de jeux peuvent être remis en question au cours des différentes productions discographiques et concerts.

Dans le sillage du « Festival for Radical New Jewish Culture » de Munich, John Zorn organise des festivals dans des clubs new-yorkais, notamment à la Knitting Factory, et à travers toute l’Europe.

Ces tournées qui conjuguent performances, lectures et débats, soulèvent des questions fondamentales pour le mouvement : « Qu’est-ce que la musique juive d’aujourd’hui ? Que dit la musique de nos origines que l’on joue et de notre expérience de vie ? » Ces débats portent « sur le sens et la forme à donner à la communauté des musiciens juifs new-yorkais, ainsi qu’à leur engagement musical ».

Pour le chef de fil John Zorn et le collectif de musiciens, il s’agit incontestablement d’une prise en considération de leur identité juive.

Dans son Manifeste de la Radical Jewish Culture sur le label Tzadik, Zorn pose : « Je n’ai jamais était conquis par l’idée que n’importe quelle musique faite par un juif est de la musique juive, comme je ne prétends par être le seul juge de ce qu’est juif ou pas. Il est arrivé parfois que le contenu juif apporté par la musique a été brouillé, ou voire inexistant. Dans ce cas-là, mon rôle en tant que producteur exécutif a été de questionner l’artiste. Si sa réponse est simplement « Je suis juif – voilà ce que je fais – et c’est ce qui en fait de la musique juive » – le projet est rejeté, et renvoyé à l’artiste qui ne fait que ce qu’il veut. »

Zorn s’affichera désormais sur scène en treillis militaire et tsitsit (franges rituelles).

Profondément influencés par « les mouvements de revendication des minorités culturelles, sexuelles et politiques affirmés dans l’Amérique des années 70, Frank London et les Klezmatics, Marc Ribot, Elliott Sharp, Roy Natanson, David Krakauer, Antony Coleman, participent à ces performances qui transgressent les codes culturels. Ils s’investissent également dans des luttes locales, contre la destruction de synagogues du Lower East Side, ou internationales, contre la guerre en ex-Yougoslavie ou au Proche-Orient au nom d’un idéal de justice sociale inspiré du concept messianique de réparation du monde, du tikoun olam.

Le label Tzadik continue aujourd’hui de semer et de produire des artistes, de faire découvrir de nouvelles musiques juives ainsi que leurs créateurs. On peut citer entre autre Danier Zamir (saxophoniste israélien), Guillaume Perret (saxophoniste français), Rashanim trio, La Mar Infortuna avec Jennifer Charles du groupe de rock Elysian Fields…

La Radical Jewish Culture est une mouvance de musique qu’on se risquera à qualifier de « juive », et « juive » si elle en est, elle est bien vivante, elle est renée de ses cendres, foisonnante, créatrice, et si elle semble évoquer le passé, elle n’a de cesse de préparer le futur…

Source: Exposition « Radical Jewsih Culture » – MAHJ – 2010