Le Président américain semble considérer l’Iran comme un allié plus fiable que l’Arabie saoudite. Ce qui n’est pas forcément mauvais pour Israël.
Au moment où s’inscrivent ces lignes, le président américain Barack Obama s’apprête à signer au nom des États-Unis un accord stratégique avec la République islamique d’Iran qui orientera pour de longues années l’avenir du Proche et du Moyen-Orient. Il s’agit, comme chacun le sait, d’un accord portant sur le nucléaire iranien. Une double question se pose : quelle stratégie guide le locataire de la Maison Blanche ? Et traduit-elle réellement son indifférence ou sa défiance vis-à-vis d’Israël ?
D’abord, il convient de rappeler que ce sont tous les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que l’Allemagne (les 5+1) qui ont négocié avec l’Iran depuis 2006, et non seulement les États-Unis. Ensuite, l’accord en question a été réinterprété à plusieurs reprises – et avec raison – dans le sens de la fermeté, entre autres grâce aux inquiétudes israéliennes. Certes, Washington fut moins en pointe que Paris sur cette ligne mais rien n’étaye un « lâchage » américain quant à ces demandes. Surtout, quid du régime iranien ? S’il vomit effectivement « l’entité sioniste » depuis 1979, soit en organisant des anifestations au cours desquelles le drapeau bleu et blanc est brûlé, des slogans antisionistes scandés et des appels à « libérer » Jérusalem lancés, soit en boycottant les interventions de représentants d’Israël à la tribune des Nations unies, soit encore – sous l’égide du fascisant Ahmadinedjad – en montant d’abjects colloques négationnistes, incarne-t-il l’ennemi absolu ? Voire. Car une relation géopolitique ne se jauge pas qu’à l’aune de propos belliqueux et de tissus incendiés. À quel moment la République islamique a-t-elle concrètement attaqué Israël ?
Jamais. Pas même indirectement via le Hezbollah. Car tout indique qu’en 2006, le Hezbollah, effectivement courroie de transmission de Téhéran au Liban (et en Syrie à présent) a tenté en attaquant un poste militaire israélien un échange de prisonniers, et certainement pas un conflit de haute intensité. Légitimé à riposter, Ehud Olmert s’est néanmoins trompé dans la nature de celle-ci, comme la commission Winograd l’avait en partie elle-même établie à l’époque. En outre, le Hezbollah, groupe arabe et libanais, a son propre agenda et n’obéit pas systématiquement aux desiderata d’un Khamenei, guide suprême à la fois iranien et perse… L’attentat dévastateur contre la communauté juive de Buenos Aires en juillet 1994 ? L’illustration de l’antisémitisme abject d’un Hezbollah demeuré terroriste, pas la preuve que son grand soutien et mentor cherche le conflit ouvert avec l’État juif. En réalité, si l’Iran avait voulu attaquer Israël, il l’aurait fait depuis longtemps via ses missiles au rayon d’action et la puissance destructrice redoutables…
Ce n’est donc pas parce qu’Obama se défie d’Israël – ou simplement de Netanyahou – qu’il mène à bien une politique de reprise de pourparlers voire de coopération avec Téhéran. En réalité, il considère non seulement que l’Arabie saoudite n’est plus aussi fiable qu’elle le fut comme alliée, devenant même sans cesse davantage un problème plus qu’une solution, mais encore que l’Iran pourrait pallier à la perte de Riyad comme allié. Comment ne pas objectivement lui donner raison ?
L’islamisme radical en plein essor depuis un demi-siècle a pour matrice principale le wahhabisme saoudien (et qatari), et non le chiisme duodécimain d’Iran. Par ailleurs, l’Iran abrite deux fois plus d’habitants que toutes les pétromonarchies du Golfe, recèle des réserves pétrolières et gazières gigantesques, et son niveau socio-éducatif et en ingéniérie est sans commune mesure avec celui des voisins bédouins. En outre, le balcon iranien sur le Caucase, la Caspienne, le Golfe, l’Afghanistan et l’océan Indien en font un territoire éminemment stratégique. Dans ce schéma général, Israël n’occupe pas une place prépondérante.
Incontestablement, Obama n’entre-tient pas la même empathie pour l’État juif que ses deux prédécesseurs. Provenant de la gauche du Parti démocrate et donc sensible à certaines thématiques tiers-mondistes, originaire d’Afrique et pas (exclusivement) d’Europe, et non affilié à une église évangélique, il n’avait pas a priori de quoi incarner un fervent soutien d’Israël. Un bémol toutefois ; les seize années de présidence Clinton puis W. Bush s’étaient déroulées sur un mode si inconditionnellement favorable aux gouvernements hébreux successifs que, forcément, le contraste serait un jour ou l’autre apparu ! Mais sur le terrain diplomatique, concrètement, jamais, absolument jamais Obama ne vota « oui » ni ne s’abstint seulement lors des résolutions déposées à l’ONU qui condamnaient Israël.
Barrière/mur de sécurité, deux guerres de Gaza et rapport Goldstone, débats renouvelés sur la reconnaissance de la Palestine, etc. : les occasions ne manquèrent pourtant pas ses six années passées. Même beau fixe sur le plan économique et technologique, puisque jamais les liens israélo-américains n’ont été si étroits ; Obama n’y est certes pour pas grand-chose, mais il aurait en revanche pu s’opposer à certains accords liés aux matériels stratégiques inclus dans l’avionique militaire.
Décidément, on peut reprocher à Obama quantité de choses sur les questions moyen-orientales – ses valses hésitations en Irak, son recul derrière sa propre « ligne rouge » dans la crise syrienne des gaz neurotoxiques en septembre 2013, son dogme consistant à ne jamais intervenir au sol, son incapacité à réamorcer le processus de paix voire – pour les amis d’Israël – l’absence d’une forme de proximité personnelle dont avaient preuve d’autres présidents américains. Mais il n’est pas sérieux d’affirmer que sa politique iranienne s’inscrit dans une volonté de nuire à Israël.
Frédéric Encel est l’auteur de Géopolitique du Printemps arabe aux Presses Universitaires de France. Il publie fin août Petites leçons de diplomatie, aux éditions Autrement.