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France

Une double passion

Hommage d’Alexandre Adler à Raphaël Draï

Le décès après une brève mais terrible maladie de Raphaël Drai nous touche infiniment. Pourquoi ? Au delà des attachements, nombreux et divers que la personnalité de Raphaël aura pu réunir pendant l’espace de sa vie, sa disparition poignante à un age où sa vigueur et son acuité intellectuelle auraient dû permettre un couronnement fait écho en nous à cette sombre période que nous traversons. Or la vie même de Raphaël n’est elle pas le symbole vivant des terribles difficultés de notre siècle et de l’extraordinaire énergie optimiste qu’il a toujours déployée afin de les surmonter. Je dirais même que la leçon de vie qu’il nous lègue est consubstantielle à cette énergie optimiste, à cet optimisme qu’il atteignait toujours, mais au terme d’un difficile combat auquel il ne se dérobait jamais.

Né à Constantine, cette véritable capitale religieuse de l’Algérie juive où une communauté soudée, tout en aimant la France de tout son coeur, se tenait à l’écart de la foi assimilationniste quelque peu naïve d’Alger ou d’Oran, Raphaël a tout de suite voulu ordonner par la pensée sa double passion pour la culture rationaliste de la France et pour la pensée juive au service de laquelle il aura écrit ses plus beaux textes. Il vient à la maturité politique et intellectuelle dans les derniers feux de l’insurrection algérienne, il est témoin avec l’atroce assassinat de Cheikh Raymond Leyris de la fin d’une idylle judéo-arabe, à laquelle pourtant il n’aura jamais tout à fait renoncé : son engagement auprès du gouvernement algérien pour permettre à Enrico Macias, le génial gendre de Cheikh Raymond, de venir chanter à Constantine comme pourtant l’avait promis Bouteflika, témoigne aussi sur ce point de la continuité de ses idées. Comme Raphaël retiendra de cette période d’affrontements un engagement sans aucune restriction mentale envers un Israël auquel sa courageuse solidarité ne s’est jamais dérobée. Certains verront dans une partie de ses positions intransigeantes une sorte de « droitisation de la pensée ». Il n’y avait en réalité ici rien de tel mais tout simplement cette puissante adhésion à la fidélité et à la continuité d’une pensée qui en faisait à l’évidence un Juste parmi ses contemporains.

Fils d’un propriétaire de cinéma, Raphaël eût pu parfaitement devenir un homme d’affaires, un entrepreneur, mais à son propre service. Son talent entreprenarial de créateur, il le mit par amour du savoir au service d’une université dont les mœurs un peu couardes ne laisseront jamais de le surprendre. Il fut ainsi un grand universitaire, adoré des meilleurs de ses collègues. Mais dans une fidélité, là aussi absolue, à notre tradition millénaire, il considérera toute sa vie que toutes les mitsvot de la terre devaient tout de même converger sur un point incontournable, l’étude de la Torah. Là aussi, il s’y adonna avec sa proverbiale absence de mesure en lisant tout, en interprétant tout ce qu’il pouvait en abstraire et en répandant ainsi par l’écrit la compréhension de tout ce que l’Etude lui avait donné. Son commentaire historico-philosophique de la Torah restera sans aucun doute, avec l’œuvre d’Armand Abécassis, conçue, elle, depuis Casablanca, l’un des témoignages les plus beaux et les plus profonds de ce dynamisme intellectuel judéo-maghrébin qui aura bouleversé de fond en comble le judaïsme français des 40 dernières années, conférant également à la France ses deux derniers prix Nobels de physique, Cohen Tannoudji et Haroche.

Raphaël avait réussi à faire vivre en lui, comme dans une symphonie intime, ces qualités exceptionnelles, ajouterais-je qu’à sa rigueur dans les voies de la Torah et le sentiment parfois tragique de l’existence qui l’aura toujours accompagné, il faisait aussi toute sa place au hessed, à la grâce et à la douceur que Dieu lui avait aussi données. C’était un ami exemplaire, et comme il aimerait sans doute à le dire là où maintenant il repose, son amitié valait même pour les temps futurs, olam haba.

 

Un office aura lieu ce jeudi 24 juillet à partir de 20 heures à la synagogue « Maguen David-Ahavat Shalom » avenue de Versailles 75016 Paris