L’Arche : Vous avez réalisé un film sur Martin Buber dont on marque le 50ème anniversaire de la mort. Comment avez-vous conçu ce film ?
Pierre Henry Salfati : Buber a composé une minuscule autobiographie, qu’il a nommée fragments autobiographiques. Il écrit que : « c’est une lourde tâche que de composer une autobiographie et je n’ai pas cette sorte de mémoire continue. » Il s’est limité à enregistrer les points les plus importants de son existence pour le développement de sa pensée. Et bien j’ai fait la même chose, je suis allé à l’essentiel. Buber est un personnage qui porte plusieurs « casquettes », le juif de la tradition, le philosophe, le sioniste et l’éducateur. En général ces quatre domaines sont porteurs de contradictions pour un juif. Son œuvre résonne sur quatre paliers, celui de l’irrationalité du hassidisme, celui de la raison des lumières, celui de l’idéologie socialiste, romantique et utopique et celui du partage du savoir. Mon film s’efforce à une lecture transversale de ces quatre domaines. Le hassid, le philosophe, l’idéologue et le professeur, loin d’êtres aussi éloignés qu’il semble sont les passeurs du même message : le besoin perpétuel de l’autre et du dialogue.
Vous êtes vous inspiré de la biographie de Dominique Bourel ?
Entre autre, mais il y a dans ce film d’autres spécialistes de Buber. Des Allemands, des Israéliens, Américains et Français comme Denis Charbit et bien sur Dominique Bourel. Chacun d’entre eux a écrit sur Buber des livres très documentés bref, c’est une inspiration multiple.
Quels sont les lieux que vous avez privilégiés pour le tournage ?
La maison qu’il habitait de 1916 à 1938 à Heppenheim en Allemagne. L’université de Heidelberg qui se situe aussi en Allemagne. Sa maison à Jérusalem. Celle de sa petite fille à Tel-Aviv. La ville de Jérusalem. La Bibliothèque Nationale d’Israël à Jérusalem qui conserve nombre de ses manuscrits, notamment celui de Gog et Magog et des milliers de lettres et des centaines de photos. Buber a échangé plus de 50000 lettres avec des correspondants aussi célèbres que Kafka, Einstein, Schweitzer, Zweig, Camus, Zangwill, Lou Andréa Salomé, Emmanuel Levinas, bref… des centaines comme ça.
Est ce que vous avez accordé une place importante au relation de Buber avec la France ?
Importante n’est pas le mot, puisqu’elles ne sont pas importantes par définition. J’évoque Bachelard qui a préfacé son livre Je et Tu quand il a été traduit en français, Emmanuel Levinas mais aussi Sartre, Mauriac, Claudel, bref des personnalités aujourd’hui un rien désuètes.
Avez-vous des témoignages de personnes qui l’ont connu et qui sont encore vivantes ?
J’ai filmé Judith Buber-Agassi, sa petite fille, aujourd’hui une très vieille dame. Et son mari le philosophe Joseph Agassi.
Est ce que vous avez rencontré des difficultés sur le tournage ?
Non, il n’y a eu aucune difficulté sur le tournage. La vraie difficulté est au montage, le film fera une heure, il est toujours difficile de résumer la vie d’un homme en si peu de temps, surtout si elle est bien remplie. Il n’y a pas que du tournage d’ailleurs dans ce film mais on y trouve également de nombreuses archives. Nous avons trouvé des documents formidables sur Buber lui même, qui n’a été que très rarement filmé pour ne pas dire pas du tout.