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France

Hommage à Raphaël Draï par le rabbin Ariel Messas

C’est malgré moi, empli de souffrance, en me faisant violence que je débute l’écriture de ces quelques lignes. Comment parler de Raphaël Draï au passé ? Comment évoquer une personnalité si forte, si présente, si attachante, si brillante sans redouter de ne pas être à la hauteur de l’hommage qu’il mérite.

Raphaël Draï est ce grand intellectuel, cet homme doté d’une immense culture, ce doyen d’université, ce spécialiste en science politique, en psychanalyse, en philosophie, cet acteur majeur du dialogue inter religieux, cet intellectuel engagé dans le débat politique et communautaire, ce grand défenseur de l’Etat d’Israël, ce merveilleux conférencier répondant toujours présent à tous ceux qui le sollicitaient, n’hésitant jamais à se rendre dans les petites communautés qui l’appelaient régulièrement pour qu’il leur dispense son enseignement, cet acteur communautaire dont la pensée et les avis étaient toujours un point de repère pour l’ensemble de ses dirigeants. Raphaël Draï était un collaborateur régulier de la presse juive, des radios juives, un auteur prolixe qui a édité pas moins de trente ouvrages. Récemment il s’est même essayé au théâtre et au dessin.

L’hommage que le Centre Communautaire de Paris lui a rendu à l’occasion de son départ à la retraite de la faculté d’Aix en Provence, les éloges que les professeurs et spécialistes en de nombreux domaines de la pensée ont fait de Raphaël. Les propos que Raphaël adressait à chacun d’entre eux illustrait de façon magistrale sa maîtrise des thématiques évoquées. Ce colloque, auquel Raphaël m’avait demandé de participer, m’a également permis de prendre la mesure de son amour pour la pensée juive et  la profondeur de sa pensée en ce domaine.

Pour ma part, il me semble qu’il m’incombe de porter le témoignage de celui qui fut le rabbin de la communauté qu’il fréquentait. Les chemins de la providence ont fait que Raphaël et sa famille se sont installés dans notre quartier il y a sept ans. Ses pas le menèrent immédiatement vers la synagogue la plus proche de son nouveau domicile. C’est ainsi qu’un jour, nous avons vu Raphaël Draï venir prier en notre synagogue. C’était un vendredi soir pour l’office de chabbat. Nous connaissions l’homme public, nous allions découvrir l’homme, le fidèle, l’ami, l’enseignant, le militant. Raphaël a alors rencontré mon regretté père le grand rabbin David Messas, une relation de respect mutuel et de véritable amitié s’est très vite nouée entre eux. Raphaël suivait avec passion ses cours et conférences et ils parlaient régulièrement ensemble de Torah et de questions communautaires.

De même, j’ai eu la chance de voir Raphaël assister à mes cours de Talmud, de pensée juive, de Torah. J’ai eu également la chance de pouvoir étudier avec Raphaël en dehors des cours communautaires et bénéficier de nombreux moments d’études sur différents textes de Talmud. Nous avons étudié ensemble les traités Baba Métsia, Sottah et Chabbat. J’apportais à Raphaël une technicité et une approche traditionnelle de la lecture des textes fondamentaux de notre tradition, Raphaël les traduisait dans les langages philosophique et psychanalytique les plus profonds. Souvent, il me disait combien il était dommage que les sciences humaines se soient privées dans leurs recherches des sources juives. Il disait également que les idéologies étaient exsangues, que la pensée juive pouvait être à l’origine d’un renouveau de la pensée universelle.

Très vite, Raphaël est devenu un acteur majeur de la vie de notre communauté. Il aimait à me dire, avec le sens de l’humour qu’on lui connaît, qu’il se considérait comme le « shérif adjoint » de notre communauté. Il est devenu conférencier de notre communauté et acceptait avec joie de délivrer son enseignement en quelque occasion que ce soit. Raphaël était solidaire de toutes les actions communautaires. Il nous encourageait toujours dans nos projets.

J’aimerai également rappeler que Raphaël a participé en 2011 au voyage de la mémoire des rabbins de Paris en Allemagne que j’avais organisé dans le cadre du Beth hamidrach des Rabbins de Paris, sous l’égide de mon regretté père le grand rabbin David Messas. Raphaël n’était alors encore jamais allé en Allemagne. Il a accompagné le groupe de jeunes rabbins dans la plus grande simplicité. Ses analyses et ses commentaires sur les lieux que nous visitions, Berlin, Weimar, Buchenwald, Frankfort et Worms, ainsi que sur les événements que nous  évoquions, nous ont été extrêmement précieux. Raphaël et moi même avons organisé par la suite une conférence sur ce voyage au cours de laquelle il délivra ses impressions et ses commentaires. Ce voyage a été filmé. Une partie du film du voyage a déjà été présentée. Nous espérons pouvoir présenter la seconde partie dans un proche avenir.

Si je devais retenir quelques messages essentiels que me lègue Raphaël Draï, je dirais en premier lieur qu’il est un concept qu’il aimait répéter et marteler, qu’il nommait à partir de sa formulation en hébreu : le AMAL que l’on pourrait traduire en français par « le labeur ». Il nous expliquait qu’un être humain est un être en devenir, qu’il forge sa personnalité tout au long de sa vie à travers le travail constant qu’il mène sur sa propre personne. Pour lui, la connaissance, les expériences intellectuelles et spirituelles n’ont de sens que dans la mesure où elles participent au développement de la personnalité de celui qui les vit. Il faisait ainsi sien l’enseignement du talmud Bérakhot : « Takhlit Hochma, Téchouva oumaassim tovim »,  « la finalité de la connaissance, est le retour à Dieu et les bonnes actions »

Ce combat perpétuel qu’il menait sur sa personne afin d’être dans un chemin de vie le menant toujours plus loin et plus haut, lui permettant de mettre à jour au quotidien les potentialités immenses existant en lui, me fait penser au verset de la Genèse, où Dieu, alors qu’il s’apprête à créer le premier être humain, dit : « Nous allons faire l’homme ». Le pluriel employé dans ce verset par l’être divin interpelle le lecteur, Dieu n’a-t-il pas crée l’homme seul ? Les commentaires expliquent qu’ici Dieu s’adresse à l’homme. Il lui dit qu’ensemble, Lui par Son enseignement, Son discours, audible à travers les dix paroles de la création, où les dix commandements de la Révélation, et l’homme à travers le travail spirituel qui sera le sien pourront – s’ils décident d’oeuvrer ensemble – permettre à l’humanité qui est en l’homme d’émerger et de se développer.

Raphaël exprimait également cette idée à travers l’évocation d’un verset du Deutéronome « oubaharta bahaim », « Tu feras le choix de la vie ».    

Par ailleurs, le vivre ensemble, la relation au prochain, le sens de la responsabilité des uns par rapport aux autres était un thème qui lui était extrêmement cher. Il insistait sur la nécessaire réciprocité qu’implique cette relation. Il regrettait que trop souvent elle ne soit vécue qu’à sens unique.

L’amour pour Israël, le sentiment que le destin du peuple juif en tant que collectivité se joue sur la terre d’Israël étaient des thèmes que l’on évoquait régulièrement au cours de nos entretiens.

Par ailleurs, nombreux sont ceux qui ont souligné que Raphaël était un « passeur », un transmetteur de mémoire. Raphaël s’est acquitté de ce devoir à travers l’écriture de ces ouvrages auto biographiques, à travers de nombreux entretiens, mais aussi, à un autre niveau, en notre communauté, à travers de petites attentions extrêmement révélatrices de l’importance qu’il apportait aux enseignements de ses maîtres.

Ces maîtres dont il nous disait qu’ils lui avaient permis d’être ce qu’il était, même s’il n’avait pas pu, dans sa jeunesse, s’abreuver suffisamment à leur source. Il aimait à dire qu’il les savait détenteurs d’une tradition rabbinique ancienne de plusieurs siècles.

Deux anecdotes attestent de cet attachement. La première, un jour Raphaël, avec la douceur que nous lui connaissons m’a interpellé en me disant que l’on n’entendait aucune prière chantée avec les airs traditionnels de Constantine en notre synagogue. Je lui répondis alors immédiatement que je serais très heureux qu’il chante une prière de son choix selon le rite de Constantine. Le Chabbat suivant, il entonna la prière du NICHMAT KOL HAI TEHALLEL ETE CHIMEKHA HACHEM, « L’âme de tout vivant glorifiera Ton Nom, Eternel notre Dieu ».

Visiblement très ému, il nous dit qu’en chantant de la sorte cette prière, il avait eu le sentiment que son maître Rabbi Daniel Guenassia se trouvait à ses cotés et chantait avec lui cette prière.

La seconde, est qu’après que l’un de ses amis lui ait remis un ouvrage sur la Torah d’un des maîtres de Constantine, il déclara à celui qui le lui avait offert, que depuis qu’il avait reçu cet ouvrage, il l’étudiait systématiquement et s’en inspirait très souvent dans ses propres commentaires de la Torah.

Nous perdons un ami, un compagnon d’études, un maître. Cependant nous sommes sûrs que sa famille, ses élèves, tous ceux qui ont profité de son enseignement permettront à sa pensée d’éclairer les générations futures.

Téhé nafcho tserourah bitsror hahaim

Le rabbin Ariel Messas est le rabbin de la synagogue “Maguen David-Ahavat Shalom”.