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Religion

L’ « Oskar Schindler juif », l’incroyable surnom de Steve Maman.

Surnommé par The Algemeiner, l’« Oskar Schindler juif », ce canadien d’origine marocaine est en haut d’une vague médiatique : il dit avoir libéré 128 femmes et filles Yézidis de l’enfer, réduites en esclavage par les membres de l’Etat Islamique. Violées, battues, vendues comme des marchandises, y compris des petites filles, ces captives vivent l’horreur, soumises à la violence sidérante d’un système barbare, pensé, organisé ayant vocation à s’étendre, et nous le savons. La crise humanitaire du peuple yézidi, abandonné, est extrême : les réfugiés, traumatisés, vivent dans des conditions atroces et implorent l’action des ONG internationales qui peinent à leur venir en aide. Un soir, devant son ordinateur, Steve Maman raconte qu’il découvre les photos d’enfants emprisonnés dans une cage après avoir visionné La liste de Schindler .

Ce vendeur de voitures de collection adepte d’un Never Again concret, décide alors d’agir. Son projet est initié à la fin de l’année 2014 avec un principe logique : puisque des êtres humains sont vendus et revendus, il faut négocier leur relâche sur zone pour les libérer de leur geôliers djihadistes et s’appuyer pour ce faire sur une constellation de têtes de réseaux locaux, qu’il nomme les « courtiers », aux motivations diverses mais qui risquent gros. Il finit par créer une association en juin dernier pour lever des fonds, les siens propres ne suffisant plus, la CYCI (Libération of Christian and Yazidi Children of Iraq). L’initiative semble à la fois inouïe et presque trop simple. La démarche est critiquée, accusée de faire le jeu de Daech, de renforcer le système, elle irrite quelques experts, certains doutent, et d’autres applaudissent. Quoi qu’il en soit, les faits avancés par Steve Maman concordent avec la réalité des évasions, organisées ou non par son association, et étayées par de nombreux témoignages. “j’avais entendu parler de lui il y a plusieurs semaines”, confie Anthony Chamon, le président de l’Association des Yézidis de France. “Nous ne pouvons que saluer et encourager son action, il est par ailleurs de plus en plus difficile de faire sortir les filles. Le temps presse car il faut des contacts avec elles et l’EI a fini par imposer un blackout total, et de moins en moins de femmes parviennent à accéder à un téléphone, condition fondamentale d’une éventuelle libération. Son intention semble belle et il est symboliquement fort et important pour notre communauté que s’exprime de la sorte une telle solidarité. Nos deux peuples partagent une histoire si douloureuse. Il est critiqué, oui, mais c’est si facile de donner des leçons de morales tout en ne faisant rien derrière un bureau. A l’échelle des monstruosités et de la désespérance dans lesquelles sont plongées ces femmes, si malgré tout, son association contribue à en libérer certaines et bien pourquoi pas ! Il a entièrement raison ! » 3000 enfants sont aux mains de l’EI et environs 4500 femmes, poursuit Anthony : « Il faut savoir aussi que beaucoup de filles qui parviennent à s’échapper, s’échappent seule, certaines pour se retrouver dans le dénuement le plus total des camps de réfugiés du Nord de l’Irak, dans de tels états de détresse physique et psychologique… Et puis, on ne peut pas racheter les petits garçons… Ils sont formatés pour devenir des enfants-soldats, utilisés comme des animaux de compagnie qu’on habitue à la violence. »

La seule remarque qu’il adresserait peut-être à Steve, c’est de se méfier de l’effet boomerang d’une surmédiatisation de son action. Trop de lumière sur les procédés risquerait peut être de nuire à leur efficacité. Il est vrai qu’Oskar Schindler avait plutôt pris pour habitude de dissimuler aux nazis son agenda réel. Sur ce, Steven Maman a bel et bien accepté de répondre à nos questions.

 

L’Arche : De nouvelles prisonnières ont-elles été libérées depuis votre médiatisation internationale ? 

Steve Maman : Mon équipe s’est rendue récemment à Ramadi, mais je n’ai pas eu de contacts avec eux ces derniers jours. La libération d’une famille y était organisée. J’attends avec impatience de savoir le résultat de l’opération. Si cela a pu devenir réalité.

Etes-vous en lien avec des organisations de solidarité ou d’entraide kurdes, yézidis ou chrétiennes sur place ? 

Oui, avec une ONG locale Yazidi International , avec Ismael Mirza Basée au Canada. Et aussi : Canon Andrew White. Nous nous appuyons souvent sur leur personnel.

Comment réagissent les ONG internationales par rapport à votre action ? 

A ce jour, toute monde a l’air de s’en réjouir. J’entends très peu de plaintes de leur part. La seule qui me vient à l’esprit est celle d’une organisation mécontente de notre popularité actuelle sur les réseaux sociaux.

Que répondez-vous aux critiques qui vous sont adressées, de faire le jeu cynique des ravisseurs ? 

Puisqu’on me surnomme le « Oskar Schindler juif, » pourrions-nous lui reprocher aujourd’hui, après qu’il ait sauvé 1200 personnes, d’avoir transigé avec les nazis ? Pourrions-nous dire cela devant les descendants de ces personnes sauvées : « c’était une erreur » ? On me reproche aussi d’enrichir un Etat Islamique, qui est déjà richissime à milliards. Comparativement, le coût de ces libérations est ridicule.

Est-ce que vous avez reçu des soutiens politiques ?

Non, pas vraiment à ce jour. La seule chose que je puisse dire, c’est que le gouvernement canadien apprécie mes actions d’aide envers ces innocents. Mais nous n’avons reçu aucun support financier ou d’une autre nature, malheureusement.

Vous expliquez avoir pu sortir d’ores et déjà de l’enfer 128 jeunes femmes. Avez-vous eu des nouvelles d’elles, de leur liberté retrouvée ?

Certaines ont quitté l’Irak vers l’Allemagne. Mais la majorité est retournée et restée depuis dans leur village.

Vous dîtes ne pas pouvoir expliquer précisément toute l’opérationnalisation concrète d’une libération, ce qui semble parfaitement compréhensible, mais peut-être pouvez-vous nous dire si vous rencontrez dans ces processus des personnes qui tentent de bloquer votre action ? 

Aucune chose qui emmène de belles valeurs ne peut se dérouler comme sur des roulettes. C’est encore plus évident si l’action est aussi importante. Ce sont autant de difficultés trouvées sur le chemin. La Torah nous enseigne ceci. Mais tout avance et je suis satisfait.

Propos recueillis par Aline Le Bail-Kremer