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France

Les migrants : une épreuve, un défi, un miroir

Fallait-il attendre la vision glaçante d’un enfant syrien, Aylan Kurdi, réfugié de Kobané et mort noyé aux côtés de son frère et de sa mère dans la Méditerranée, pour provoquer une prise de conscience sur une situation tragique qui s’éternise depuis des mois ?

Cette photographie insoutenable d’un enfant échoué aux frontières de l’Europe est le miroir d’une réalité que nous avons refusé de voir. Depuis plusieurs mois, des centaines de milliers de réfugiés fuient des dictatures, des régimes totalitaires, dans des conditions inhumaines, espérant retrouver la paix pour eux et leurs enfants.

En tant que juifs, héritiers d’une histoire émaillée d’exils et de persécutions, cette situation inhumaine nous interpelle, comme une injonction à l’action : nous ne pouvons plus détourner notre regard. Ces familles qui chavirent sont le miroir d’un passé pas si lointain où les nations du monde fermèrent les yeux devant notre détresse. Juifs, nous n’oublions pas que nous avons été étrangers dans de nombreux pays et cette histoire sinueuse nous ramène au verset biblique : « Vous aimerez l’étranger, car, étrangers vous fûtes dans le pays d’Egypte » (Deutéronome, chap. 10, V. 19). Ces réfugiés nous renvoient aux épreuves endurées par le peuple juif, mais aussi à la grandeur de la France qui fût le premier pays européen à émanciper les juifs.

En tant qu’enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants d’immigrés ou de réfugiés, nos aïeux ont rejoint cette terre d’accueil et de valeurs, fruits de l’esprit éclairé des Lumières pour y bâtir un avenir meilleur. La France est un refuge, elle fut un phare des droits de l’homme qui a éclairé le monde des années durant. Cette lumière se doit de briller avec plus de force pour ces milliers de réfugiés qui quittent en hâte l’obscurantisme et la terreur.

En tant que citoyens européens, porteurs d’un idéal de solidarité construit au lendemain de la seconde guerre mondiale, cette situation représente aussi pour nous un défi sans précédent. Nous ne voulons pas d’une Europe repliée sur elle-même qui, à l’instar du hongrois Victor Orban, ne voit dans ces réfugiés qu’une « une menace pour l’identité chrétienne ». Nous ne voulons pas d’une Europe qui s’enfonce la tête dans le sable, insensible au drame des noyades, sous le slogan d’extrême-droite « Je veux rester français en France ». Notre avenir européen ne peut se limiter à la thésaurisation des économies léguées, ni à l’enfermement derrière de grands murs. Nous ne voulons pas que l’Europe se cantonne à une politique monétaire et jette aux oubliettes les principes qui l’ont fondée après la guerre.

En tant qu’étudiants, nous pensons à tous ceux qui auraient l’âge d’être sur les bancs de l’école ou de l’Université, qui en ont été privés par la guerre et la terreur, et qui ne demandent aujourd’hui qu’à retrouver un lieu d’apprentissage. Etudiants, nous sommes responsables de penser l’avenir, et nous voulons un futur d’ouverture et de solidarité.

Enfin en tant que citoyens français, au-delà des images qui bousculent nos consciences, nous nous devons d’être à la hauteur des valeurs pour lesquelles nous sommes descendus par millions en janvier dernier. La liberté que nous défendons avec tant de vigueur n’a de sens que si elle permet aux opprimés de s’émanciper du joug du terrorisme et de l’obscurantisme.

Dans un espace construit autour de la liberté d’aller et venir, l’Europe retrouvera son honneur en trouvant des solutions pour permettre à ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants de se reconstruire dans un environnement apaisé qu’ils désirent ardemment. Nos sociétés doivent aujourd’hui élaborer l’accueil autrement et apprendre à vivre avec des gens différents. Il en va de la préservation de nos valeurs juives comme de celles de nos idéaux républicains.

Sacha Reingewirtz est président de l’UEJF